Ne m’appelez plus jamais décentralisation

Décentralisation : le principe reste toujours aussi moderne mais le mot est usé jusqu’à la corde, complètement démonétisé et la ministre de la Réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique, Marylise Lebranchu qui prépare un projet de loi monumental que tout le monde appelle « acte III de la de la décentralisation » en est parfaitement consciente. Elle est toujours agacée qu’on parle d’acte III. D’abord, beaucoup de socialistes estiment que l’acte II, la loi Raffarin de 2003, ne constitue pas une étape importante dans le mouvement de décentralisation entrepris en 1982 par Gaston Defferre (c’est pourtant avec la réforme constitutionnelle initiée par Christian Poncelet, président du Sénat, que l’épithète de république décentralisée a été ajouté dans la Constitution). Ensuite, la ministre se méfie de cette métaphore théâtrale, d’autant que dans la tragédie classique, l’acte III est l’acte final, ce qui semble loin d’être le cas. Enfin, le projet de loi annoncé est aussi et avant tout un texte de modernisation de l’action publique qui ne concerne pas uniquement le transfert de nouvelles compétences aux collectivités territoriales.

L’Institut Médiascopie, dirigé par le sociologue Denis Muzet, a réalisé fin 2012 pour l’association Cap’Com, le réseau des communicants publics territoriaux, une étude sur les mots de la décentralisation. Si les mots de maire, commune, département et région bénéficient d’une image positive et d’une forte reconnaissance de la part de nos concitoyens, tout comme le concept de proximité, le jugement se dégrade définitivement avec le mot décentralisation qui est souvent perçu comme désengagement de l’État. Une étude de l’Observatoire social territorial de la MNT, Dans la peau des territoriaux, pilotée fin 2011 par le sociologue Philippe Guibert, aujourd’hui directeur du SIG (Service d’information du gouvernement), montrait très clairement que, même pour les agents territoriaux (et particulièrement pour les agents de catégorie C qui constituent les gros bataillon de la fonction publique territoriale), les mots de décentralisation et territoires étaient  associés au retrait des services publics de l’Etat et à un affaiblissement de la sphère publique. La communication est brouillée, les commentateurs, voire les journalistes politiques parfois, utilisent le mot décentralisation pour parler de délocalisation et de déconcentration.

Vive la régionalisation

Par quoi remplacer ce mot de décentralisation ? Le président de l’Association des maires de grandes villes de France, Michel Destot, député maire de Grenoble, propose de parler de territorialisation. C’est vrai que le projet de loi (actuellement intitulé projet de loi de décentralisation et de réforme de l’action publique dans ses versions provisoires d’avant-projet de loi) consacre l’approche territoriale et diversfiée des politiques publiques, mais ce vocabulaire reste très technocratique. Madame Michu comprendra-t-elle mieux la territorialisation que la décentralisation ? Et si on parlait tout simplement de régionalisation. Dans la réforme en préparation, le périmètre régional va devenir l’unité de base de la future construction des politiques publique à travers les conférences territoriales et les schémas régionaux. Les administrations déconcentrées de l’Etat ont déjà pris un peu d’avance sur cette évolution depuis que le préfet de région est devenu avec la RéATE (réforme de l’administration territoriale de l’État), l’échelon à partir duquel sont organisés les services de l’Etat. Ajoutons que le mot de région a une désormais une connotation positive (le mot région a remplacé la province) qui dépasse de loin l’institution politique des conseils régionaux. Les régions sont tendance. Alors, osons la régionalisation qui appartient fondamentalement à notre culture républicaine et au génie national.

Illustration : La Fête de la Fédération fut célébrée au Champ-de-Mars de Paris, le 14 juillet 1790, premier anniversaire de la prise de la Bastille, à l’initiative des fédérations régionales de gardes nationales et du Général La Fayette, commandant de la Garde nationale de Paris, Cet événement est fêté, chaque 14 juillet depuis 1890, en tant que Fête nationale française conjointement avec la prise de la Bastille.

 

2 commentaires sur “Ne m’appelez plus jamais décentralisation

  1. Non, la régionalisation ne fait pas partie de la culture française. La régionalisation, c’est soit une construction technocratique de planification, soit le fédéralisme. Le fameux génie national français n’est plus capable que de produire normes, réglements, discours inutiles et inaudibles sur de grands principes, etc…
    Laissons les territoires prendre leur liberté, laissons les inititaives locales s’épanouir, ramenons l’Etat à une plus juste place, et construisons l’Europe fédérale à partir des territoires.
    Les régions n’ont pas pu prendre leur envol depuyis 30 ans, car la France n’a jamais su choisir entre jacobiisme et fédéralisme. La faute à cette culture uniforme de la haute administration, à la haute idée qu’elle a d’elle-même, au cumul des mandats, aux relations incestueuses entre administration et banques, etc… Il fallait que subsistât un Etat pour que quelques-uns en profitent au maximum. C’est terminé. Territoires et Europe. Voilà l’avenir.

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  2. Ces sont en effet deux conceptions fondamentalement opposées.
    L’une désigne un mouvement descendant (topdown) – voire condescendant – et l’autre un mouvement ascendant (bottom up). C’est toute la différence.
    Octave

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