
Il faut simplifier. La crise agricole a remis sur le haut de la pile la simplification administrative. Un vieux serpent de mer ou plutôt une hydre dont de nouvelles têtes se multiplient aussitôt qu’on coupe les anciennes. D’un côté, nos concitoyens demandent toujours plus de sécurité, d’égalité, bref ils veulent des normes mais de préférence pour les autres. De l’autre côté, l’administration centrale répond en sur-administrant, ceinture et bretelle, d’autant plus à l’aise pour édicter ces normes qu’elle laisse à d’autres, à l’échelon local, le devoir de les appliquer. Il n’est qu’à voir l’imbroglio du ZAN (Zéro artificialisation nette) à la charge des communes et des régions.
« On ne change pas la société par décret », c’est le titre du livre du sociologue Pierre Crozier paru en 1979. Il est plus que jamais d’actualité et on pourrait en conseiller la lecture à tous les décideurs publics. « Nous vivons dans une crise d’affolement devant la complexité d’un système que nous ne maîtrisons plus », déplorait Michel Crozier, dénonçant « la pression irrésistible de la complexité et l’impossibilité d’y répondre en utilisant des modèles d’organisation et de gouvernement de plus en plus inadaptés ».
Nos sociétés sont en changement permanent et Crozier recommandait « l’idée de germination ». L’expression est belle, il faut laisser germer. Je prends l’exemple des comités de quartiers. Il y a quelques années, plusieurs maires de grandes villes avaient lancé des initiatives pour aller à la rencontre des habitants et organisés des concertations régulières à l’échelle des quartiers en créant des comités de quartier. Le gouvernement de l’époque trouva l’idée telle bonne qu’il résolut de l’inscrire dans la loi en généralisant – comprendre en les rendant obligatoires – ces espaces de démocraties infra-communaux et en encadrant leur organisation : seuils de population requis, composition des comités, fréquence des réunions. Le résultat a été décevant : on avait cassé une dynamique démocratique en la transformant en machine bureaucratique. Ceux qui avaient déjà des comités étaient priés de passer sous une même toise au risque de perdre des spécificités pourtant mieux adaptées au contexte local. Ceux qui n’avaient pas encore de comités jugeaient que cette obligation constituait une contrainte supplémentaire et s’y résolvait en traînant des pieds, cochant la case sans vraiment s’impliquer.
Dans son immense roman, Le Docteur Jivago, Boris Pasternak énonce cette intuition si juste que « les institutions politiques doivent jaillir d’en bas, sur une base démocratique, comme des boutures qui prennent racine. Il est impossible de les implanter par le haut, comme les pieux d’une palissade ». On ne change pas la société par décret. Silence, ça pousse.