
Le civisme ne se prêche pas, il s’invite. Dans une société fragmentée, traversée de doutes et de replis, le civisme ne peut plus être une morale abstraite. Il doit redevenir un geste, un lien, une manière concrète de faire société. À condition d’en renouveler les formes, d’en partager la responsabilité… et d’y associer toutes les générations.
Il fut un temps où le mot “civisme” semblait un peu suranné. Comme une injonction polie mais sans prise sur le réel. Aujourd’hui, il revient au cœur du débat public. Non comme un simple mot d’ordre, mais comme une question vitale : que reste-t-il du sentiment d’appartenance à une communauté de citoyens ?
Lors des Assises du civisme organisées le 25 juin à l’AMF, Jérôme Fourquet a présenté les résultats d’une enquête Ifop aussi fine qu’inquiétante. Une donnée, en particulier, a frappé les esprits : seulement 38 % des 18-24 ans estiment que le civisme est “une valeur essentielle dans une société démocratique”, contre 62 % des plus de 65 ans. L’écart est abyssal. Non parce que les jeunes rejetteraient la République, mais parce qu’ils peinent à s’y reconnaître.
Quand on leur demande ce qu’évoque pour eux le mot “civisme”, près d’un jeune sur deux avoue ne pas savoir exactement. La moitié des 18-24 ans dit n’avoir jamais entendu parler de cette notion à l’école. Et ils sont nombreux à considérer que le civisme est avant tout un devoir des autres : les institutions, les élus, les adultes. À l’inverse, les plus âgés associent spontanément le civisme à des attitudes concrètes : ne pas jeter ses déchets dans la rue, aider un voisin, voter.
C’est ici que se creuse une différence d’approche entre les générations. Si 82 % des Français dans leur ensemble considèrent que voter est une marque de bon citoyen, ce chiffre chute à 70 % chez les moins de 25 ans. De même, le respect des autres, quelles que soient leurs origines, est jugé essentiel par 95 % des plus de 65 ans, mais seulement 85 % des jeunes adultes.
Les jeunes privilégient les causes plutôt que les structures
« Les jeunes se reconnaissent moins que leurs aînés dans les comportements qui constituent pourtant le civisme ordinaire », explique Jérôme Fourquet. Faut-il y voir un désengagement ? Pas nécessairement. Car les formes d’engagement évoluent. Les jeunes privilégient des causes (environnement, solidarité, égalité, cause animale) à des structures. Ils s’engagent par actions plus que par appartenance, par élans concrets plus que par principes abstraits.
Cette mutation ne relève pas d’un refus du civisme, mais d’une transformation silencieuse de ses codes. Elle suppose qu’on leur donne les moyens de s’engager à leur manière, et qu’on reconnaisse comme “civique” ce qui ne relève pas toujours du cadre institutionnel classique.
Ce clivage générationnel ne saurait être réduit à une question d’éducation. Il exprime une transformation profonde du lien civique : moins d’attachement aux symboles, plus d’attente de réciprocité, davantage de défiance vis-à-vis de la verticalité de l’État. Les jeunes réclament des formes d’engagement plus souples, plus locales, plus choisies. Mais encore faut-il qu’on leur tende la main, qu’on leur propose autre chose que des injonctions à “se comporter correctement”.
C’est là qu’interviennent les collectivités locales et leurs élus, tisserands patients de lien social. Le Passeport du civisme, créé par Maxence de Rugy, maire de Talmont-Saint-Hilaire en Vendée, invite ainsi les jeunes à s’impliquer dans des actions concrètes — entraide, découverte des institutions, engagement associatif. Loin des discours abstraits, il s’agit ici de vivre le civisme, d’en faire l’expérience. Plus de 500 communes ont rejoint cette initiative soutenue par l’Association des maires de France.
Même chose pour L’Heure civique, Inventée par Atanase Perifan, créateur de La Fête des voisins : une heure par mois, donnée librement à une action locale de solidarité, de transmission ou de lien social. Ce geste, modeste mais volontaire, a une portée symbolique forte : il dit que chacun peut contribuer, à sa mesure, à l’entretien du bien commun.
Lors des Assises du civisme, un maire d’une petite commune rurale l’a résumé d’une phrase simple : “Le civisme ne se prêche pas, il s’invite.” Et c’est là tout l’enjeu. Ne pas faire la morale, mais offrir des occasions d’agir. Ne pas attendre que les jeunes reviennent vers la République, mais aller vers eux avec confiance. Car ce que révèle l’enquête Ifop, ce n’est pas une rupture définitive, mais un risque de décrochage. Et, en creux, une promesse : celle de reconstruire un civisme à hauteur d’homme, adapté aux temps présents, enraciné dans le quotidien, porté par la proximité. Un civisme qui ne serait plus un mot oublié dans un manuel, mais un chemin possible pour refaire société.
Ce combat est difficile, parfois ingrat. Il suppose de tenir bon face aux moqueries, à l’indifférence ou à la résignation. Mais il porte en lui une promesse : celle de refaire société, non pas sur des mots, mais sur des actes. Ce que révèlent les Assises du civisme, au fond, c’est que le civisme ne meurt pas – il mute. Il change de forme, de langage, d’ancrage. Moins statutaire, plus relationnel. Moins vertical, plus collaboratif.
Mais cette mutation n’est pas spontanée. Elle suppose une reconnaissance politique, une organisation collective, une valorisation institutionnelle. Elle suppose aussi que les adultes, les élus, les responsables publics incarnent ce qu’ils appellent de leurs vœux. Et que l’on cesse d’opposer les générations là où il s’agit, précisément, de tisser du commun.
Illustration : Les Assises du civisme, le 25 juin à l’AMF, marquaient les dix ans du Passeport du civisme créé par Maxence de Rugy à Talmont-Saint-Hilaire. David Lisnard, maire de Cannes, le promeut dans sa ville comme Edouard Philippe au Havre.