Quand les présidents de région imaginent l’acte 3 de la décentralisation, ils appellent à une révolution culturelle. Le président de l’Association des Régions de France, Alain Rousset, présentait cette semaine avec ses collègues présidents de conseils régionaux les propositions de l’ARF pour un acte 3 de la décentralisation . « Le temps de la décision publique est devenu plus long et plus cher parce que l’État continue à doublonner toutes les compétences des régions. Ce n’est plus possible, » déclare Alain Rousset, « nous voulons avoir la plénitude des responsabilités et du pouvoir dans les politiques que l’État a commencé à nous transférer : formation, orientation, développement et aménagement du territoire… Nous n’avons pas à nous cacher derrière quelques préfets et sous-préfets . Il faut que État et régions clarifient leurs compétences. Sans gouvernance et pilotage clair, il n’y a pas de politique publique réussie. »
Le président de l’ARF martèle ces arguments depuis longtemps. Sans vouloir faire de la France une République fédérale, la rationalité commanderait des transferts pleins et entiers de compétences. L’efficacité de l’action régionale confiée à un pouvoir démocratique de proximité n’est plus à démontrer. Mais rien de bouge : ainsi les récentes réformes de l’apprentissage confirment-elles le blocage. Le fait que toutes les régions métropolitaines soient dirigées par des majorités de gauche ne facilite pas le dialogue avec l’État. Les administrations centrales, non plus, ne veulent rien abandonner des politiques liées à l’emploi et au développement économique. Au Parti socialiste, les décentralisateurs ne sont pas non plus majoritaires. On cherchera en vain le souffle décentralisateur de 1981 dans le projet socialiste pour 2012.
En novembre dernier, Marcel Gauchet avait remis un rapport au secrétaire général du ministère de l’Intérieur sur l’État territorial à l’horizon 2025. Dans ce document, le directeur d’études à l’EHESS, parlait de la boîte noire de la décentralisation et remarquait que l’effet paradoxal de l’ »indéchiffrabilité » de l’organisation administrative décentralisée a été de redonner une nouvelle visibilité à l’administration territoriale. Marcel Gauchet déplore à juste titre que les mentalités n’aient pas suivi la décentralisation : « La réalité décentralisée de l’organisation administrative n’empêche pas la prégnance dans les esprits d’une culture politique dont l’Etat centralisé constitue la clé de voûte. La « République décentralisée » reste dans les têtes un «Etat central décentralisé» appuyé sur une administration territoriale que l’on imagine forte. Rien d’extraordinaire à cela: une tradition historique aussi séculairement enracinée ne se change pas par décret. En dépit des prérogatives qu’ils ont acquises, les élus entretiennent à leur façon cette situation. Par culture politique eux aussi, ils continuent communément de se reposer sur une attitude d’opposition et de réclamation envers l’Etat central qui ne les met pas en position de s’y substituer. Il n’entre pas dans l’idée que les titulaires des pouvoirs locaux se font de leur fonction d’appliquer les lois, comme c’est le cas dans les pays authentiquement fédéraux. Ils se bornent à les respecter, en laissant le soin de les mettre globalement en oeuvre à d’autres. » Alain Rousset a bien raison d’appeler à une révolution culturelle.
Élément d’actualité à verser au dossier. L’ancien Premier ministre, candidat virtuel à la présidentielle de 2012, Dominique de Villepin, vient de présenter son projet pour une refondation de la République. Commentant ce projet dans un entretien aux Echos , il livre sa vision du pilotage de la politique économique et industrielle de la France : « Je propose la création d’un conseil national stratégique qui chapeauterait les organes statistiques, économétriques et les organismes de soutien au commerce international, et piloterait l’ensemble des instruments de financement de l’économie (FSI, participation à la Caisse des Dépôts et Consignations, Oséo). Ce conseil se réunirait sous l’autorité du président de la République et associerait les partenaires sociaux, des parlementaires et les présidents de région. Car, dans mon esprit, les régions seraient limitées à huit en métropole, leur président élu au suffrage universel et elles se réuniraient tous les quinze jours avec le chef de l’Etat et le Premier ministre pour planifier les infrastructures et l’aménagement du territoire. » Révolution culturelle ?
Illustration : Inauguration en 2009 d’une déviation dans les Pyrénées-Atlantiques par Alain Rousset, président du conseil régional d’Aquitaine et Dominique Schmitt, préfet de la Région Aquitaine.
Alain Rousset est certainement le référent le plus averti aujourd’hui en matière de décentralisation. La région qu’il préside est d’ailleurs un très beau laboratoire avec des expérimentations très innovantes. Son analyse doit nous montrer quelles sont les voies à suivre afin de rendre aux collectivités toutes les marges de manœuvres dont elles ont besoin pour mener à bien des politiques publiques modernes de développement global, mais également de proximité.
Ton Blog, Jean, mérite qu’on lui rendre visite beaucoup plus souvent. Merci pour ce texte très actuel.
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