À tous ceux qui s’intéressent aux politiques publiques territoriales, je recommande la lecture de la dernière livraison de la revue Hérodote parue sur le thème « santé publique et territoire ». Le trimestriel dirigé par Yves Lacoste et Béatrice Giblin avait déjà consacré un numéro à la géopolitique de la santé publique. C’était il y a douze ans et la situation a évolué en profondeur. La loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST) de 2009 et la création des Agences régionales de santé ont marqué un tournant mais au delà des reformes institutionnelles, que constate-t-on aujourd’hui ? Les inégalités territoriales de santé sont toujours aussi vives. Comment les mesurer et à quelle échelle ? L’exemple cité par Yves Lacoste dès 1999 reste toujours aussi valable : « plus le territoire considéré est vaste, plus les contrastes entre niveaux de santés sont masqués. Ainsi, si la santé en Ile de France est satisfaisante, elle l’est beaucoup moins en Seine-Saint-Denis, et encore moins à Clichy-sous-Bois ; elle est même préoccupante dans le quartier du Chêne Pointu. » La situation s’est même aggravée avec de vastes territoires défavorisés, délaissés par les médecins (moins de 10 % des jeunes médecins s’installent en libéral), avec une inégale répartition entre CHU (deux CHU en Pays de la Loire, Angers et Nantes distants de 80 km ou en Languedoc-Roussillon, Nîmes et Montpellier distants de 50 km), des hôpitaux publics qui, dotés des plateaux techniques les plus innovants, retrouvent aussi leur rôle historique d’accueil des indigents.
Ludovic Cépré, géographe de la santé, constate que le jacobinisme sanitaire reste toujours vivace en France : « la structure de gestion des ARS est très centralisée : le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales pilote en direct par des réunions parisiennes fréquentes les directeurs généraux d’ARS. » La régionalisation de la santé est plus une déconcentration qu’une décentralisation sur fond de rivalité latente entre l’État et l’assurance maladie. La dimension territoriale s’impose pourtant à toutes les réflexions sur l’organisation de l’offre de soin. Les élus locaux en ont pris la mesure. L’hôpital public est devenu un nouvel acteur territorial. Aurélien Delas, doctorant à l’Université Paris VIII, explique qu’on est passé de l’hôpital « bunker » à l’hôpital pivot de la structuration sanitaire d’un territoire. Mais attention, prévient Ludovic Cépré, la belle idée des réseaux de santé semble faire long feu…
J’ai particulièrement apprécié un article de la revue consacré à la politique de santé publique mise en œuvre par la Communauté de l’agglomération havraise (CODAH). Agnès Demare-Lécossais, Maud Harang-Cissé, responsables de la Direction Santé hygiène environnement de la CODAH, y décrivent les divers aspects de la politique de santé publique menée par cette communauté d’agglomération, une des rares, à ma connaissance, à s’être dotée d’une compétence sanitaire. À la lecture de cet article, on comprend bien l’évolution d’une politique locale de santé publique. A côté des prestations traditionnelles liées à la salubrité et l’hygiène publique, se sont développés des outils de prévention, de santé publique (dépistage de maladie, lutte contre les addictions…). Aujourd’hui, l’effort de la CODAH porte sur la structuration de l’offre de soins sur le territoire de l’agglomération et l’amélioration des parcours avec des lieux de santé pluri-professionnels. En clair, pour la collectivité territoriale, la question prioritaire est celle de la démographie des professionnels de santé et de l’offre de proximité à construire pour y faire face. Ce sujet risque de rester longtemps prioritaire et de nombreuses agglomérations auraient intérêt à suivre l’exemple du Havre.