Le grand désarroi des administrations déconcentrées de l’Etat

 

 

L’Etat territorial, c’est-à-dire l’administration déconcentrée, se porte mal. La grande réforme des préfectures, la Réate (Réforme de l’administration territoriale de l’Etat) mise en œuvre depuis 2010 avec comme objectifs affirmés de resserrer le nombre de directions départementales et régionales, de renforcer les rôles de pilotage des préfets, s’est faite à l’aune de la RGPP et de la réduction des moyens sans véritable redéfinition des objectifs. Le rapport sur la stratégie d’organisation à 5 ans de l’administration territoriale de l’État, que viennent de remettre au Premier ministre, le préfet Jean-Marc Rebière et l’ingénieur des Ponts Jean-Pierre Weiss, s’efforce de trouver des pistes d’évolution crédibles en dégageant des scénarios. Une chose est claire : pour compenser les créations de postes dans d’autres administrations (éducation, police, justice…), le downsizing et la réduction des moyens vont se poursuivre, 9 % de baisse d’effectifs sur 5 ans, « 1% par an d’effort en moyenne pour les directions départementales, dont plusieurs restent très fragiles ainsi que pour les préfectures de département hors prise en compte des évolutions infradépartementales soit 5% sur le quinquennat ; 2 % en moyenne pour les directions régionales et les administrations centrales soit 10% sur la durée du quinquennat », précise le rapport.

Rebière et Weiss ne cachent pas les difficultés. « Les responsables des organisations syndicales, unanimes, de niveau national comme territorial, ont mis en avant de façon très convaincante le désarroi, la lassitude et désormais la faible motivation des agents de l’Etat à exercer des missions dont ils ne trouvent plus le sens. Les responsables administratifs territoriaux de tout niveau relaient ce diagnostic, dont ils ne s’exonèrent pas », constatent les rapporteurs qui n’ignorent pas non plus les travers de l’administration : modèle français d’organisation et de production des services publics « néo-traditionnel » avec donneur d’ordre unique, du ministre au responsable d’une équipe dans un service déconcentré, « directives et circulaires de tout acabit qui prescrivent par le détail les modes de faire attendus des agents », complexité et instabilité réglementaire avec « des politiques publiques changeantes, requérant la coordination d’acteurs multiples, qui ne partagent pas nécessairement les mêmes objectifs, et font appel à des compétences diverses de plus en plus aiguisées, donc difficiles à mobiliser », lenteur des réponses comparée à nos voisins européens.

Tous ces maux de l’administration déconcentrée sont vécus dans un contexte de nouvelle réforme de décentralisation qui va renforcer le rôle des métropoles et désigner des chefs de files par les collectivités pour piloter un grand nombre de politiques publiques. « Les partenariats avec une, voire plusieurs collectivités territoriales, sont beaucoup plus fréquents que les missions régaliennes exercées par l’Etat seul », constatent les auteurs du rapport, avant d’ajouter que « ces partenariats, ou si l’on préfère ces coproductions, sont habituels et particulièrement consommateurs de moyens de l’Etat même lorsque la collectivité territoriale est clairement responsable des services publics concernés. » Première piste d’évolution : le transfert de compétences vers les collectivités doit se poursuivre. Il est en cours dans certains domaines : droit des sols (ADS), assistance technique pour raisons de solidarité et d’aménagement du territoire (ATESAT). Les transferts pourraient aussi concerner des acteurs tels que les fédérations sportives pour des politique du sport gérer aujourd’hui localement par des agents de l’Etat.

Autre recommandation capitale dans ce contexte de downsizing, il faut en finir avec les commandes répétées des cabinets ministériels qui exigent la fourniture de données de toute sorte par les services déconcentrés. « Les administrations centrales ne doivent plus demander ce que les services déconcentrés peuvent faire pour elles mais ce qu’elles peuvent faire pour eux », recommandent Rebière et Weiss dans une formule digne de J-F Kennedy. Ils développent ensuite trois scénarios d’organisation relativement classiques, en demandant au gouvernement de prendre « des engagements de service public (…) énoncés dans des termes simples, concrets et vérifiables, partant de l’attente des différents bénéficiaires du service public. » Jean-Pierre Weiss en a dessiné les contours lors d’une réunion avec les partenaires sociaux : « dans le champ des contrôles, il est nécessaire de contrôler la qualité des restaurants toutes les X années. Si cela n’est pas possible, il faut voir comment y parvenir autrement. Par exemple, pour la délivrance des autorisations d’installations classées pour la protection de l’environnement, un délai de 12 mois pourrait être proposé. Ainsi, il est donné un contenu très concret à l’exercice du service public. Ce travail ne prend pas des années. Il est possible d’envisager des résultats début 2014. »

À côté de ces recommandations opérationnelles d’application rapide ou de la question des implantations infradépartementales (40 sous-préfectures ont moins de dix agents et la situation est comparable pour un nombre significatif de trésoreries), le rapport aborde aussi des questions porteuses d’une évolution en profondeur, comme la place pour l’expression des usagers du service public. « La faiblesse de la représentation des usagers du service public, à quelques exceptions notoires comme les associations de parents d’élèves, les associations de protection de l’environnement, les fédérations de chasse, les anciens combattants et d’autres dans le champ social (handicapés par exemple)… sert depuis des années d’excuse à l’absence d’initiatives en ce domaine », constatent les rapporteurs. Pour y remédier, ils proposent d’encourager les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux à constituer en leur sein des commissions d’usagers du service public qui pourraient préfigurer de futures instances autonomes. L’administration de l’Etat n’en a pas fini de sa mutation.

PS : Alors que je mets en ligne ce billet, la Cour des comptes publie ce 11 juillet un rapport sur l’organisation territoriale de l’Etat. Ce rapport très sévère dénonce  les défauts de cohérence de l’Etat territorial, sa gouvernance mal assurée
et une gestion des ressources humaines inadaptée. Les magistrats financiers concluent que « l’État se doit d’adapter son organisation territoriale et de repenser ses missions afin de les remplir plus efficacement et de mieux les articuler avec celles de collectivités territoriales. » Extrait éloquent de ce rapport :  « La décentralisation à la française aboutit, de droit ou de fait, à une cogestion entre les collectivités et les services déconcentrés de l’État. Le projet actuel de décentralisation renforce encore cette conception en la généralisant dans les domaines du développement économique, de la formation professionnelle, après bien d’autres, intervenues notamment dans le domaine social. Au-delà de la multiplication des nécessaires réunions de coordination, souvent des doubles instructions, de la lourdeur des procédures et du retard dans les décisions, la multiplication des intervenants, dans un contexte de réduction globale des effectifs, a un coût et des conséquences de moins en moins supportables. Elle va à l’encontre de l’efficacité des politiques publiques. L’État pourrait, là où c’est nécessaire, organiser et faire respecter les politiques publiques transférées ou déléguées, sans intervenir dans leur gestion. »

 

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