Longtemps passager clandestin des politiques territoriales, la santé n’est plus une option pour les élus locaux. La santé qui n’était pas un thème retenu par l’exécutif pour le Grand débat national s’est même imposée dès la première rencontre entre le président de la République et les maires, en Normandie. Depuis lors, la question de l’offre de soins et des déserts médicaux est systématiquement présente dans les débats citoyens. Les élus locaux sont interpellés au même titre que l’État sur les problématiques de santé, comme ils le sont déjà sur les questions de mobilité, de logement ou d’emploi. « Comment je me soigne, comment je bouge, comment je me loge ? » : Ce sont les principales interrogations et attentes de nos concitoyens.
Les chiffres publiés en décembre dernier par le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) montrent que la baisse du nombre de médecin est loin d’être enrayée. Depuis 2010, le nombre de praticiens en activité régulière a diminué de 10 %. Pour les médecins généralistes, la baisse est de 7,3 %. Autre constat de l’ordre : Les médecins ont une tendance de plus en plus affirmée à opter pour l’exercice salarié : 47 % d’entre eux aujourd’hui, contre 42 % en 2010. Le choix de l’exercice salarié progresse également chez les généralistes : 33 % en 2010, contre 37 % en 2018. Les données du CNOM révèlent aussi un accroissement des inégalités entre les départements les mieux lotis en termes de densité médicale et les départements les moins bien lotis. Les départements les plus mal lotis ont connu une dégradation plus rapide de leur densité médicale : là où la densité des généralistes a chuté de 9.8 % dans les départements les mieux lotis entre 2010 et 2018, elle chutait de 19.8% dans les moins bien lotis.
Ma santé 2022 au Parlement
Pour comprendre l’évolution des problématiques de santé, il faut avoir en tête quatre paramètres : vieillissement de la population, forte augmentation des maladies chroniques, nouvelles thérapeutiques, émergence du numérique dans la santé. Depuis la semaine dernière, les députés débattent en commission du projet de loi Ma santé 2022. Il vient en séance publique à partir d’aujourd’hui 18 mars, avant un vote prévu le 26 mars selon l’agenda de l’Assemblée. Le texte devra ensuite être adopté au Sénat, puis sans doute repasser devant les deux chambres du Parlement avant sa promulgation, qui devra intervenir au plus tard durant l’été. En effet, il inclut la fin du numerus clausus et la réforme des études de santé, qui oblige le gouvernement à publier rapidement les décrets d’application pour que les futurs élèves de terminale puissent s’informer via Parcoursup dès l’automne.
La stratégie gouvernementale Ma santé 2022 veut favoriser une meilleure organisation des professionnels de santé qui devront travailler ensemble et mieux coopérer au service de la santé des patients. Il s’agit notamment de rassembler les soignants en ville et les soignants à l’hôpital autour de projets de santé en donnant la possibilité pour chaque Français d’être soigné tous les jours de la semaine jusqu’en soirée et le samedi matin sans devoir passer par l’hôpital, de renforcer les actions de prévention pour prévenir les maladies, de maintenir à domicile le plus possible les personnes fragiles, âgées ou présentant plusieurs pathologies.
L’exercice isolé – c’est-à-dire d’un professionnel de santé seul dans son cabinet – doit devenir l’exception à l’horizon 2022. Les soins de proximité doivent s’organiser au sein de structures d’exercice coordonné comme les maisons ou les centres de santé, dans le cadre de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Pour redonner du temps aux médecins pour soigner, Ma Santé 2022 va aussi s’appuyer sur de nouvelles fonctions d’assistant médical qui pourront assumer des tâches administratives et soignantes. La pratique avancée infirmière répondra elle aussi à cet enjeu de libérer du temps médical et ouvrira par ailleurs de nouvelles possibilités pour accompagner les patients, notamment ceux parmi les plus fragiles ou atteints de maladies chroniques. L’offre hospitalière sera quant à elle repensée autour des hôpitaux et des services hospitaliers de proximité pour les soins du quotidien (médecine, gériatrie, réadaptation), plus que jamais nécessaires dans un contexte de vieillissement de la population et d’augmentation des maladies chroniques. Les autres hôpitaux verront leur activité recentrée sur leur mission première : les soins techniques, nécessitant des équipements adaptés et de pointe. Ma Santé 2022 veut donner la priorité à la pertinence des soins comme outil de transformation. Avec la mise en place de parcours de soins, les patients n’auront pas à assumer seuls la coordination des différents professionnels de santé. Ceux-ci devront se coordonner plus efficacement, entre autres, grâce au numérique.
10 % de diabétiques en plus chaque année en France
Il n’y a jamais eu autant de médecins en France mais ils se concentrent dans certaines zones et spécialités. Les généralistes s’installent de plus en plus tardivement, veulent travailler en groupe et penser de nouvelles pratiques médicales. Actuellement, 20 % des patients représentent 80 % du temps d’un médecin. L’augmentation des maladies chroniques semble inexorable. Mardi dernier 12 mars, j’animais une rencontre organisée par l’Union des maires de l’Oise, en lien avec l’Agence régionale de santé des Hauts-de-France. Les élus locaux ont pu présenter et confronter les solutions diverses qu’ils apportent à la crise de la démographie médicale, centres locaux de santé avec des médecins salarié ou maisons pluridisciplinaires à l’initiative de médecins libéraux, mise en œuvre de contrats locaux de santé associant toutes les parties prenantes du territoire. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales du Sénat, lui-même médecin, ancien maire de Sorgues (Vaucluse) et rapporteur de toutes les récentes lois sur la santé, expliquait que le nombre des diabétiques augmente de 10 % par an en France. De son intervention, j’ai aussi retenu l’importance centrale de la prévention. La diminution des facteurs de risques de la maladie d’Alzheimer pourraient baisser de 60 % la survenue de cette maladie.
Construire des politiques de santé dans les territoires
Plus que jamais, il faut passer d’une logique de soins à une logique de santé publique, avec une approche territoriale, et d’appréhender la santé non plus seulement à partir du soin ou de la mesure des maladies mais de façon plus globale, en intégrant l’environnement dans son entier. Et cela se passe à l’échelle locale. Malheureusement en France, les questions de santé restent trop souvent abordées sous l’angle de l’accès aux soins et pas assez par la prévention. Or, c’est principalement dans ce domaine que les élus locaux peuvent agir. Et leur action n’est pas anecdotique. Son efficacité sur le long terme est évidente : programme d’éducation nutritionnelle dans les cantines, installation de parcours sport-santé dans la ville, aide au maintien à domicile, lutte contre les pollutions urbaines, les exemples ne manquent pas. En 1986, l’Organisation mondiale de la santé promulguait la charte d’Ottawa qui définissait une approche socio-écologique de la santé, intégrant dans un système les domaines de la santé, du social et de l’environnement. C’est alors que fut lancé le concept de ville-santé. Les premiers ateliers santé-villes été lancés en 2001 dans le cadre de la Politique de la Ville en direction de populations prioritaires. Aujourd’hui, on voit bien que ces actions concernent l’ensemble de la population et des territoires. Le champ d’action est immense pour les collectivités territoriales et leurs établissements. Du CCAS pour lutter contre le renoncement aux soins à l’intercommunalité pour l’élaboration d’une stratégie santé du territoire, tout le monde est concerné. Nos concitoyens l’attendent.
Notre photo : Dispensaire municipal à Clichy (Hauts-de-Seine) où le Dr Louis-Ferdinand Destouches, alias Louis-Ferdinand Céline, exerça la médecine de 1929 à décembre 1937, année de parution de Bagatelles pour un massacre. Au printemps 1931, Louis-Ferdinand Céline a écrit Voyage au bout de la nuit (prix Renaudot), dactylographié par la secrétaire du dispensaire de Clichy (source Le Petit Célinien).