Le droit à la différentiation ne sera pas la fin du jardin à la française

 

Emmanuel Macron l’avait promis. Avec lui il n’y aura pas de énième réforme territoriale mais quelques ajustements et, surtout, l’inscription dans la Constitution d’un “droit à la différenciation“ qui ouvrira la possibilité pour des collectivités d’exercer des compétences dont ne disposent pas toutes les collectivités de leur catégorie et de déroger de façon durable (et plus uniquement à titre expérimental) à certaines normes. Faut-il s’attendre à une révolution culturelle, à la fin du jardin à la française, un cauchemar redouté pour l’administration de l’État qui, au gré des mutations de ses préfets, n’aime rien tant que se glisser dans une même organisation interchangeable de Dunkerque à Menton ? Si la République est une et indivisible, peut-on imaginer des modes d’organisation différents selon les territoires ? Gageons donc que si demain l’État ouvre un droit à la différentiation, il sera assurément balisé.

La différentiation n’est pas l’expérimentation, consacrée par la réforme constitutionnelle de 2003 qui autorise « temporairement, dans un but expérimental, les collectivités territoriales à mettre en œuvre, dans leur ressort, des mesures dérogeant à des dispositions législatives et susceptibles d’être ultérieurement généralisées ». Pour autant, le magistrat Vincent de Briant relevait dans un article récent que «la différenciation territoriale n’est (…) pas une nouveauté. Elle concerne déjà l’ensemble des outre-mer, les collectivités à statut particulier (Paris, Lyon, la Corse…), tous les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dont aucun ne ressemble à un autre, métropoles comprises, et la région Île-de-France. En cela, le droit à la différenciation évoqué ne brise aucun tabou, ni ne renverse aucun totem, qu’ils soient constitutionnels ou administratifs».

Deux députés, Jean-René Cazeneuve, président (LREM, Gers) de la Délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée nationale et son collègue Arnaud Viala (LR, Aveyron) viennent de publier un rapport d’information sur l’ouverture de ce droit à la différentiation dans notre Constitution. Ils constatent que « le mot “différenciation“ est ce que l’on peut appeler un “mot valise“ dans lequel chacun peut, selon ses aspirations ou ses craintes, entendre ce qu’il veut entendre ».  Justement, pour éviter les malentendus, ils ont travaillé concrètement à partir des projets de dérogation portés par les élus locaux et ont étudié 66 propositions issues des territoires. Les rapporteurs observent que les différenciations de compétences supposent, pour être conformes à la Constitution, que soit respecté le principe d’égalité, qui n’autorise les différences de traitement qu’à la condition qu’elles répondent à une différence de situation ou qu’elles soient justifiées par un motif d’intérêt général et que ces différences de traitement soient en rapport direct avec l’objet de la loi qui les établit. Pour la différenciation des normes, le texte proposé par le gouvernement vise à rendre possible de façon pérenne des dérogations locales et durables au principe d’égalité qui ne sont aujourd’hui possibles qu’à titre expérimental, donc de façon temporaire et en vue d’une éventuelle généralisation. Mais en posant des limites. Lesquelles ? La différentiation serait ainsi impossible « lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti ». La loi organique qui suivra la réforme constitutionnelle devra aussi garantir les grands droits des collectivités : principe de libre administration et de non tutelle d’une collectivité sur une autre, principe de subsidiarité et principe de compensation financière des transferts de charges.

Le risque de complexifier en voulant simplifier

Concrètement, la gestion d’un office de tourisme à l’échelle communale dérogeant à la compétence intercommunale pour une station touristique, la politique de l’eau pour tenir compte d’un bassin versant ou la possibilité pour une petite commune de délivrer les cartes d’identité ne posent pas de problèmes majeurs. En revanche, la demande d’un département frontalier de négocier avec un État voisin des accords spécifiques de réciprocité des droits sociaux, ne pourra pas être satisfaite, les traités internationaux restant une compétence régalienne. De même, pour les projets d’aménagement concernant les zones humides, la dérogation à l’obligation de compenser les dommages à l’environnement qui ne peuvent être ni évités ni réduits, ne serait pas possible, la dérogation envisagée ne consistant pas en un simple allègement d’une obligation mais en une mise à l’écart de cette dernière. Avertissement des deux rapporteurs : « une dérogation instituée dans un but simplificateur peut avoir un effet compléxificateur (sic), ne serait-ce que par le risque de la multiplication de normes différentes s’appliquant à un même objet sur différents points du territoire ».

En conclusion de leur rapport parlementaire, Jean-René Cazeneuve et Arnaud Viala, résument bien ce qu’on peut attendre de la réforme et sa limite : « le droit à la différenciation n’autorisera pas “tout et n’importe quoi“, comme certains défenseurs de l’unité républicaine la plus stricte semblent le craindre, puisque les limites de ce qui est juridiquement possible seront repoussées sans être pour autant abolies. Pour autant, l’inscription dans la Constitution d’un droit à la différenciation ouvrira bel et bien des possibilités nouvelles et réelles d’intervention différenciée pour les collectivités qui voudront s’en saisir afin d’en faire l’instrument de leurs politiques innovantes. » Voilà donc le terrain déjà balisé et, bien sûr, on guettera les premières décisions du Conseil constitutionnel, arbitre des dérogations qui, pour être conformes à la Constitution, devront forcément respecter l’ensemble du bloc de constitutionnalité. Mais, d’ici là, il faudra d’abord que la réforme constitutionnelle soit votée.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s