La petite patrie : un mot ancien pour un avenir tout neuf

Il arrive que certaines expressions paraissent surgir d’un seul esprit, tant elles semblent coller à une personnalité. Ainsi de la « petite patrie ». Beaucoup l’attribuent spontanément à Édouard Herriot, tant le grand maire radical-socialiste de Lyon l’a utilisée pour dire la force du lien communal, le premier territoire de la République. D’autres évoquent Péguy ou Jaurès. À vrai dire, personne n’en a la paternité. Et c’est précisément ce qui la rend si précieuse.

L’expression circule déjà au XVIIIᵉ siècle, avant de s’imposer au XIXᵉ dans l’école républicaine, la littérature civique et les grands textes d’éducation populaire. Elle désigne cette évidence : avant d’aimer la « grande patrie », il faut avoir appris à aimer un lieu précis, une communauté concrète, un territoire où l’on a joué, appris, rencontré le monde. La petite patrie, c’est le pays natal, le quartier, la commune, ce morceau de France que l’on porte en soi comme un premier alphabet du civisme.

Péguy en a nourri ses images de fidélité charnelle, Jaurès en a fait un point d’appui pour l’émancipation républicaine, mais Herriot est celui qui l’a projetée au cœur du débat politique moderne. Dans son émouvant discours au congrès des maires de France en 1945, le maire de Lyon, président de l’AMF dans l’immédiat après-guerre, exalte la petite patrie. Chez lui, elle n’est pas un refuge ; elle est l’espace vivant de la citoyenneté, la matrice où s’apprend l’art de la responsabilité. « La commune, c’est l’école du pays », disait-il en substance. On pourrait reprendre cette phrase aujourd’hui sans en changer un mot.

Car cette vieille expression raconte une vérité que notre temps redécouvre : on ne régénère pas une démocratie par les seules réformes institutionnelles ; on la régénère par les territoires. Là où les citoyens rencontrent le réel, là où ils peuvent agir, là où la République reprend chair. Le local n’est pas le contraire de la Nation : c’en est la condition de possibilité.

À l’heure où l’on parle de décentralisation à bout de souffle, et de recentralisation à bas bruit, peut-être est-il temps de restituer des pouvoirs, mais il s’agit surtout de restituer du sens. Reprendre le chemin qui va de la petite patrie à la grande patrie, celui qu’Herriot, Jaurès et Péguy n’ont jamais cessé d’arpenter. C’est là que se joue l’avenir démocratique : dans la fidélité à ces lieux où l’on apprend encore à être citoyens — humblement, concrètement, localement. 

Et si vous vous interrogez sur la notion même de patrie, je vous transmets la belle définition qu’en a donnée l’écrivain voyageur Patrice Franceschi : « le lieu où tout ce qui arrive aux autres vous arrive à vous-mêmes ». 

Illustration : Édouard Herriot, en 1949, lors des cérémonies du sixième centenaire du rattachement du Dauphiné à la France.

Un commentaire sur “La petite patrie : un mot ancien pour un avenir tout neuf

  1. Bonjour Jean Dumonteil,

    Ma patrie c’est la vallée de l’Antenne, mais aussi la France, mais aussi l’Europe et aussi le Monde terrestre.

    Ce n’est pas par hasard que Goulebeneze le barde saintongeais et Jean Monnet le cognaçais, père de l’Europe,

    ont adhéré tous les deux au Mouvement des Citoyens du monde en 1948 !

    Au plaisir de vous lire Cordialement, Michel ADAM ANLP http://www.valleedelantenne.info http://www.valleedelantenne.info/

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