Quand Soljenitsyne parlait à Pivot de la démocratie locale

 En novembre 1998, Bernard Pivot rejoint Alexandre Soljenitsyne à Moscou pour un dernier entretien. L’écrivain de retour en Russie revient sur ses 20 années d’exil. Pivot l’interroge sur la démocratie. « Au niveau local, la démocratie est réalisée en Occident », répond Soljenitsyne.

Bernard Pivot : Voici votre définition de la démocratie : « J’entends la démocratie comme la gestion effective du peuple par lui-même, de la base au sommet, tandis qu’eux l’entendent comme une gestion exercée par la classe instruite ». Une sorte d’autogestion ? Est-ce que ce n’est pas une sorte d’utopie politique ? 

Alexandre Soljenitsyne : Non seulement ce n’est pas une utopie, c’est le seul jugement convenable. Je considère qu’en Occident, j’ai beaucoup critiqué les gouvernements occidentaux mais pas précisément au niveau local. Au niveau local, la démocratie est réalisée en Occident et la population le sent. Si on parle au niveau de toute la nation, le régime où on n’entend pas la voix du peuple mais la voix de la presse n’est pas la démocratie. Une nation où il n’y a pas de mouvement du peuple mais seulement l’agitation des partis, ce n’est pas une démocratie. Le régime où le président et les législateurs sont élus grâce à la puissance de l’argent et non par une détermination et par la libre opinion du peuple, ce n’est pas la démocratie. Je l’ai dit à plusieurs reprises : la démocratie chez nous n’a pas commencé. Nous sommes sortis du communisme pour entrer aussitôt dans l’oligarchie, l’oligarchie criminelle. Donc, c’est la ruée des filous, des communistes et les pires des communistes ne sont pas ceux qui se frappent la poitrine avec Zuganof pour dire qu’ils veulent ramener le pouvoir soviétique. Les pires, ce sont ceux qui ont jeté leur carte du parti, et qui, masqués, ruinent le peuple, notre État, organisent les élections et se font passer pour des démocrates. 

Bernard Pivot : Pour vous, quel est le pays le plus démocratique dans le monde ? 

Alexandre Soljenitsyne : Je ne peux pas émettre de jugement là-dessus. Je dirai autrement : je considère qu’en Occident dans les pays où j’ai vécu, en Suisse et aux États-Unis, j’ai visité la France, et j’ai pu observer à quel point l’auto-administration locale marche bien. Et c’est cela pour moi la démocratie. En ce qui concerne la vie parlementaire, les partis, les factions représentées dans les assemblées, ce n’est pas cela la démocratie. Ça, c’est de l’agitation de parti. Un député du Parlement ne doit pas obéir aux instructions du parti. Il ne faut pas que les mandats qu’il reçoit soient impératifs. Moi, je refuse de considérer cela comme de la démocratie. La démocratie, c’est quand le législateur sent un contact direct avec ses électeurs, quand le parlementaire entend ses électeurs et uniquement ses électeurs et pas ce que les chefs du parti lui disent de faire. Ça, ce n’est pas la démocratie, l’esprit de parti est déjà une substitution à la démocratie. Ce qui nous menace aujourd’hui, c’est une substitution encore plus grave et plus globale : on est en train de préparer un gouvernement mondial. Vous croyez que ce sera un gouvernement démocratique, ce sera une maladie de l’humanité. À ce niveau élevé, il n’est pas possible d’écouter la voix du peuple. On nous prépare un troisième étage de démocratie tout à fait négatif. […]

Bernard Pivot : Vous arrive-t-il de réfléchir à ce que sera le XXIe siècle et, si oui, comment le voyez-vous ?

Alexandre Soljenitsyne : Je pense avec tristesse qu’au XXIe siècle l’humanité va rencontrer de nombreuses tragédies, plus peut-être qu’au XXe siècle. Ce qui me paraît le processus le plus dangereux a déjà commencé. C’est que le type culturel de l’homme tel que nous sommes habitués à le connaître depuis des siècles, sous nos yeux, commence à dégénérer en un type “technovélique“. C’est une transformation technologique qui risque de devenir biologique. L’homme a toujours été le sujet de l’histoire et aujourd’hui, il ne transforme en un copeau du progrès technique. 

Le progrès technique, durant des siècles, avait toujours eu tendance à entamer la nature et maintenant il commence à entamer la culture et l’homme. Cet élément technique enlève à l’homme sa personnalité et son âme. C’est une transformation psychologique terrible. 

Sous nos yeux, nous perdons la réflexion, la concentration. Au lieu de cela, nous avons un torrent d’informations qui remplace la vie de notre âme. Regardez : la vie contemporaine commence à évincer l’amour, encore un peu et la technique va l’étouffer ; on a remplacé l’amour par le sexe et maintenant le sexe, on le remplace par le clonage. C’est terrible. Sans parler des cataclysmes politiques qui seront nombreux au XXIe siècle et cela a déjà commencé. Nous risquons de perdre l’homme tel que nous l’avons connu, l’humanité telle que nous l’avons connue. Ce sera une autre humanité et cela me paraît terrible. 

Bernard Pivot : c’est malheur à nos enfants, malheur à nos petits-enfants, ce que vous venez de dire !

Alexandre Soljenitsyne : oui, c’est ce qu’ils vont rencontrer. Ils ne comprendront peut-être pas immédiatement ce qu’ils ont perdu, ils commenceront déjà à vivre dans une société transformée, et petit à petit certains arriveront à se retrouver mais il faudrait commencer dès maintenant. »

La germination plutôt que la norme

Il faut simplifier. La crise agricole a remis sur le haut de la pile la simplification administrative. Un vieux serpent de mer ou plutôt une hydre dont de nouvelles têtes se multiplient aussitôt qu’on coupe les anciennes. D’un côté, nos concitoyens demandent toujours plus de sécurité, d’égalité, bref ils veulent des normes mais de préférence pour les autres. De l’autre côté, l’administration centrale répond en sur-administrant, ceinture et bretelle, d’autant plus à l’aise pour édicter ces normes qu’elle laisse à d’autres, à l’échelon local, le devoir de les appliquer. Il n’est qu’à voir l’imbroglio du ZAN (Zéro artificialisation nette) à la charge des communes et des régions. 

« On ne change pas la société par décret », c’est le titre du livre du sociologue Pierre Crozier paru en 1979. Il est plus que jamais d’actualité et on pourrait en conseiller la lecture à tous les décideurs publics. « Nous vivons dans une crise d’affolement devant la complexité d’un système que nous ne maîtrisons plus », déplorait Michel Crozier, dénonçant « la pression irrésistible de la complexité et l’impossibilité d’y répondre en utilisant des modèles d’organisation et de gouvernement de plus en plus inadaptés ».

Nos sociétés sont en changement permanent et Crozier recommandait « l’idée de germination ». L’expression est belle, il faut laisser germer. Je prends l’exemple des comités de quartiers. Il y a quelques années, plusieurs maires de grandes villes avaient lancé des initiatives pour aller à la rencontre des habitants et organisés des concertations régulières à l’échelle des quartiers en créant des comités de quartier. Le gouvernement de l’époque trouva l’idée telle bonne qu’il résolut de l’inscrire dans la loi en généralisant – comprendre en les rendant obligatoires – ces espaces de démocraties infra-communaux et en encadrant leur organisation : seuils de population requis, composition des comités, fréquence des réunions. Le résultat a été décevant : on avait cassé une dynamique démocratique en la transformant en machine bureaucratique. Ceux qui avaient déjà des comités étaient priés de passer sous une même toise au risque de perdre des spécificités pourtant mieux adaptées au contexte local. Ceux qui n’avaient pas encore de comités jugeaient que cette obligation constituait une contrainte supplémentaire et s’y résolvait en traînant des pieds, cochant la case sans vraiment s’impliquer. 

Dans son immense roman, Le Docteur Jivago, Boris Pasternak énonce cette intuition si juste que « les institutions politiques doivent jaillir d’en bas, sur une base démocratique, comme des boutures qui prennent racine. Il est impossible de les implanter par le haut, comme les pieux d’une palissade ». On ne change pas la société par décret. Silence, ça pousse.

Éloge du local. Refonder la politique à échelle humaine

Le livre vient de paraître. Faire l’éloge du local, c’est d’abord un plaidoyer allegro pour que vivent davantage les libertés locales dans notre pays. Le local est notre point de jonction avec le réel. Il possède une simplicité qui n’est ni banale, ni ordinaire. Quand tout s’individualise, se fractionne, le local est la seule chose que nous avons encore en partage. On ne reconstruira la politique dont tant de nos contemporains se défient, qu’à partir du local, de la commune, de la communauté locale. Redécouvrons la vie à hauteur d’homme, à échelle humaine. Le local, c’est là où on a droit de cité, là où on peut encore changer les choses, mener des projets et en mesurer les résultats, concrètement, “en présentiel“, loin des politiques nationales devenues virtuelles. 

Le local n’est pas une pensée régressive, c’est la connexion au réel de nos vies, le lieu de la rencontre et du projet. À l’opposé de la politique nationale en spectateur, des tweets anonymes vengeurs et des passions tristes. Face à la défiance généralisée envers les institutions, c’est là qu’on peut refonder la politique, là où on reprend pied. Plus que jamais, si les problèmes sont globaux, les solutions sont locales. 

La crise sanitaire du Covid-19 a été un crash-test pour l’organisation administrative française. L’État, omniprésent mais impotent, ne peut pas tout, pas tout seul. Et pourtant la décentralisation actuelle, façon puzzle, révèle la défiance de l’État envers les pouvoirs locaux. Subsidiarité et autonomie, les libertés locales restent encore à conquérir dans notre pays. Ce n’est pas un hasard si les pays d’Europe du Nord où les collectivités territoriales ont le plus de compétences, là où les villes jouissent d’amples marges d’action dans l’urbanisme, l’énergie ou le développement, sont les plus avancés dans la lutte contre le dérèglement climatique.

Les modèles verticaux ont échoué, le futur souhaitable s’écrit dans les flux et les réseaux interconnectés dans tous les domaines : politique environnementale, autonomie énergétique, projets alimentaires, lien social, âges de la vie. L’autonomie n’est pas l’autarcie mais l’interdépendance et la solidarité dans la complémentarité entre urbain et rural, métropoles et petites villes. À la différence d’autres pays européens, la France est irriguée par des centaines de petites villes qui maillent le territoire et où s’invente une nouvelle urbanité. 

Dans notre société en réseau, le local construit des ponts, non des murs

Le local, c’est une idée qui vient de loin, du Small is beautiful de Schumacher à L’Enracinement de Simone Weil, d’Ivan Illich à Edgar Morin, c’est un projet de civilisation. Pas seulement politique, c’est une philosophie, un art de vivre, le lieu de la rencontre, de l’altérité et de la fraternité. À échelle humaine, à hauteur d’homme, c’est dans cette proximité que peuvent se retisser les liens à tous les âges de la vie, en donnant droit de cité à chacun dans une société qui vieillit, en ayant le souci des générations à venir. 

L’ancrage local n’est pas une assignation à résidence. Nous avons tous besoin d’un nid, pas d’une cage. Par définition, le nid est le lieu de la transmission et du renouvellement, là où se crée la vie. C’est aussi et surtout l’endroit d’où on prend son envol.

Dans notre société en réseau, ce local construit des ponts, non des murs. C’est un projet de civilisation. De quoi réconcilier les citoyens en associant proximité et ouverture pour, de nouveau, faire société et retrouver le goût de la politique et embrasser les mutations en cours. 

Géographie de la haine de l’autre

La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a publié cet été son rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Il mérite qu’on s’y intéresse car ce rapport analyse une grande série de données publiques, d’enquêtes et de travaux de recherche riches d’enseignements.   

Bonne nouvelle : sur le temps long, la tolérance progresse largement en France mais le rapport souligne que les préjugés racistes, antisémites et xénophobes et les passages à l’acte se manifestent par des logiques différentes. Paradoxe : Dans un contexte de crise politique, sociale, économique et identitaire, la politisation du rejet de l’autre, figure mouvante aux visages multiples, s’accentue alors même que l’indice de tolérance du baromètre CNCDH indique que, depuis plusieurs années, les préjugés et les sentiments de haine à l’égard de l’autre reculent et s’atténuent. »

Crimes et délits. De quoi parle-t-on et à partir de quelles données ? 

Le rapport analyse les données police-justice : « On observe des différences notables entre les différents types d’unités urbaines. Les taux varient ainsi de 0,03 victime pour 1 000 habitants dans les communes rurales à 0,16 victime pour 1000 habitants dans l’agglomération parisienne. Ainsi, plus les unités urbaines sont denses, plus le taux de victimes d’atteintes “à caractère raciste“ est élevé. Ainsi, l’Île-de-France, territoire particulièrement urbanisé, a un taux de victimes de crimes et délits « à caractère raciste » supérieur à la moyenne nationale pour tous ses départements sauf pour la Seine-et-Marne qui est dans la moyenne nationale ; Paris affiche le taux départemental le plus élevé, près de 3 fois supérieur à celui du reste du territoire. Les départements aux taux les plus faibles sont le Gers, la Haute-Loire et le Morbihan avec 0,03 victime pour 1000 habitants puis le Cantal, le Cher, la Manche et la Réunion avec 0,04 victime pour 1000 habitants. »

Toutefois, la commission relativise les données publiques pour mesurer la réalité du racisme et de la xénophobie. C’est ce qu’on appelle le “chiffre noir“, c’est-à-dire l’ensemble des actes délictueux qui échappent totalement au radar de la justice, fausse en effet les contours du racisme en France et a des conséquences sur les victimes et sur la société dans son ensemble. « La conviction répandue de l’existence d’une masse d’actes racistes non déclarés, et donc non condamnés, alimente un sentiment d’insatisfaction et d’injustice, douloureux pour les victimes et néfaste pour la cohésion sociale », déplorent les auteurs du rapport. 

Les professionnelles des services à la personne discriminées

À partir des données du Défenseur des droits qui réalise chaque année en collaboration avec l’Organisation internationale du travail (OIT) une enquête relative à la perception des discriminations dans l’emploi, le rapport de la CNCDH s’inquiète des discrimination dans le secteur des services à la personne : 23 % des professionnels interrogés (dont 93 % sont des femmes) déclarent avoir déjà vécu une situation de discrimination ou de harcèlement discriminatoire, tandis que 30% en ont été témoin au moins une fois.

Les Roms fortement stigmatisés

Les Roms restent la minorité la plus stigmatisée. « Les chiffres se dégradent cette année après une décennie d’amélioration », observent les auteurs du rapport : « C’est le seul groupe testé à propos duquel une majorité de personnes interrogées (67 %) continue de penser qu’il « forme un groupe à part » en France, un niveau qui progresse même de 7 points par rapport à avril 2022, alors qu’il avait plutôt eu tendance à reculer au cours des dernières années après le niveau record (87%) mesuré en 2014. »

Cette perception s’ancre dans deux préjugés qui progressent eux aussi : d’une part, le mode de vie des Roms est jugé très spécifique et même condamnable par plus des deux tiers des personnes interrogées, qui disent que les Roms « sont pour la plupart nomades » (69 %, + 2 points) et qu’ils « exploitent très souvent les enfants » (57 %, + 2 points). D’autre part, le sentiment que les Roms contribuent à l’insécurité avec désormais près d’un Français sur deux (49%, + 4 points) qui affirme qu’ils «vivent essentiellement de vols et de trafics». »

Contre cet “antitsiganisme“ et ces préjugés, un collectif d’associations de défense des droits des voyageurs observe qu’on met toujours l’accent sur des délits et installations supposées illicites, souvent « sans rappeler l’immense défaillance des pouvoirs publics pour mettre en œuvre la loi qui organise l’accueil et l’habitat ». On sait bien qu’il n’y a pas assez d’aires d’accueil pour les gens du voyage. Les élus locaux sous la pression de leurs habitants y sont très souvent opposés. 

La CNCDH recommande un engagement du Gouvernement et des collectivités territoriales pour faire évoluer le regard, le discours et les pratiques vis-à-vis des populations roms ainsi que des mesures concrètes d’accès aux droits et une politique de lutte contre les préjugés et les stéréotypes. »

Nous et eux ? Qui est l’étranger ? 

De qui parle-t-on dans les discours politiques et médiatiques sur “l’immigration“ et les “migrants“ ?, interrogent les auteurs du rapport, constatant que les travaux des sémiologues, spécialisés dans les analyses de discours, montrent que derrière le recours à certains mots, comme “étrangers“, dont le sens pourrait recouvrir un ensemble précis (l’ensemble des personnes qui n’ont pas la nationalité française par exemple), ce sont souvent des groupes particuliers que l’on vise, comme semble le montrer l’emploi interchangeable de plusieurs expressions ou le glissement, phrase après phrase, d’un terme à l’autre. À travers les mots d’ “étranger“, de “migrant“ ou d’“immigré“ (qui peut très bien être français depuis plus d’une génération), une grande partie des discours visent aujourd’hui en France plus particulièrement les étrangers venus d’afrique et du maghreb ».

Les grands réseaux associatifs, Croix Rouge ou CImade, développent des projets et des campagnes pour changer le regard sur les migrations. C’est aussi le cas de quelques rares collectivités territoriales comme la commune d’Uckange (7.000 habitants, Moselle) qui a organisé il y a quelques mois « la Semaine de sensibilisation pour l’accueil des migrants et réfugiés »[1].

Le rapport consacre un chapitre à la dimension territoriale et socioéconomique du rejet de l’autre. Les études locales conduites par des politologues et des sociologues de terrain, ainsi que par des historiens, révèlent une réalité complexe et nuancée, tout en permettant de dresser le contour de phénomènes susceptibles d’amplifier les réflexes de repli xénophobes. Pour les appréhender, il est nécessaire de voir comment les discours venus d’en haut résonnent ou non avec des contextes locaux très divers

La CNCDH insiste sur la responsabilité des élus nationaux et territoriaux, des organisations et personnalités politiques, syndicales, associatives, religieuses et des leaders d’opinion à tous niveaux. Chaque année, elle alerte sur les paroles xénophobes et les mensonges sur la situation des étrangers en France qui envahissent le débat public. L’instrumentalisation de la figure de “l’étranger“ à des fins de stratégie électorale nuit gravement à la cohésion sociale ; elle légitime des comportements discriminatoires qui peuvent aller jusqu’au meurtre.

Dans ses recommandations, la CNCDH encourage l’État et les collectivités territoriales à revitaliser la pratique démocratique, avec l’objectif de favoriser la diversité et la mixité sociale. Elle recommande un fort rééquilibrage des politiques territoriales, en particulier en ce qui concerne l’accès aux droits et aux services publics, comme ceux de la santé, du logement et de l’éducation : « La revitalisation démocratique et sociale des territoires est l’une des conditions d’une lutte concrète contre le racisme et les discriminations ; elle doit impliquer les politiques de l’emploi. Or le marché du travail dans certains territoires est tel qu’il en résulte un fort déficit de réponse aux besoins des populations et un sentiment d’abandon. Ce vécu est exacerbé par une mise en concurrence de tous avec tous, qui installe les discriminations en avantages concurrentiels sur le marché de l’emploi ».


[1] Voir «Semaine de sensibilisation pour l’accueil des migrants et réfugiés» sur le site de la mairie d’Uckange, accessible ici : https://sites.google.com/uckange.fr/mairie-uckange/home/ semaine-de-sensibilisation-pour-laccueil-des-migrants?pli=1.

Un manifeste pour des villes apaisées

« Nous ne vivons plus la même ville qu’hier, celle de demain sera encore différente », c’est la conviction des maires d’une trentaine de villes (de Strasbourg à Montpellier en passant par Chambéry, Vitré, Joigny, Poitiers, Roubaix ou Lyon) qui s’engagent dans la campagne « Ville apaisée, quartiers à vivre » lancée lancé par cinq associations de collectivités territoriales, à l’initiative de Rue de l’Avenir et du Club des villes et territoires cyclables et marchables, 

Principaux objectifs : Rendre la ville attrayante, faciliter les changements de comportement, redonner à la ville sa qualité́ et son attractivité́ pour le bien-être de tous, grâce à un espace public accueillant et disponible pour la pratique des mobilités actives et le renforcement des transports collectifs ; rendre la ville accessible à ses habitants les plus vulnérables, enfants, seniors et personnes à mobilité́ réduite, prévenir les risques d’accidents de la circulation ; mettre en œuvre les outils contribuant à̀ lutter contre le réchauffement climatique et la consommation d’espaces naturels ; réduire les pollutions et nuisances qui affectent l’espace public et notamment la pollution de l’air et le bruit.

Pour cela, ces villes s’engagent à améliorer la qualité́ des aménagements des espaces publics : matériaux de sol et entretien, traitement des intersections, redistribution des surfaces de voirie attribuées à l’automobile en faveur des transports collectifs, des piétons et des vélos avec un objectif de sanctuarisation des trottoirs et de limitation du mobilier urbain surabondant ou mal positionné. Elles veulent aussi privilégier le végétal dans les aménagements et planter des arbres d’alignement à haute tige qui serviront de climatiseur urbain grâce à leur ombre et l’évaporation du feuillage, choisir des matériaux drainants et de couleur claire, veiller à la perméabilité́ des surfaces de sol urbain. Pour agir sur le nombre de voitures en ville, elles s’engagent à proposer des alternatives, en généralisant la vitesse de 30 km/h à l’ensemble des voies, excepté les artères principales qui pourraient rester à 50 km/h. et en adaptant les plans de circulation.

Les promoteurs de cette campagne appellent les élus locaux à signer et diffuser le manifeste « Ville apaisée, quartiers à vivre »

Le syndrome ORPÉA, des Ehpad aux crèches

(Article paru dans la lettre d’information Confinews de mai 2023)

Après les vieux, alertez les bébés. Le scandale ORPÉA avait mis en lumière la maltraitance faite aux personnes âgées et voici qu’on découvre maintenant le même type de dérive dans les structures d’accueil de la petite enfance. Un rapport de l’IGAS (Inspection générale de l’action sociale) publié récemment, intitulé « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », tire le signal d’alarme : « Comme dans le secteur des personnes âgées, la régulation insuffisante du secteur marchand peut laisser prospérer des stratégies économiques préjudiciables à la qualité́ d’accueil ».  Les rapporteurs constatent que « la logique quantitative d’accroissement de l’offre a devancé les objectifs qualitatifs d’une réponse adaptée aux besoins de l’enfant, la qualité́ ne faisant l’objet d’aucun pilotage réel au niveau national. »

On valorise l’accueil en crèche comme un modèle d’épanouissement et de socialisation. Dès lors, l’accueil par les assistantes maternelles ne cesse de baisser. Entre 2017 et 2020, le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) a enregistré un recul de 50 000 places,majoritairement chez les assistantes maternelles. « Les crèches gérées par des collectivités oudes associations sont également en déclin et le nombre de places pour les enfants de 2 ans àl’école continue sa chute. Seule l’offre par les crèches privées à but lucratif augmente », peut-on lire dans le rapport du Haut conseil publié en mars dernier.

La marchandisation des services à la population n’est pas sans risque. Des entreprises qui gèrent des centaines d’établissements se sont créées dans une logique de rationalité qui est la même que celles des chaînes d’EHPAD. Le rapport de l’IGAS dénonce une « dégradation de la qualité́ » et « une injonction permanente au “remplissage“ qui peut conduire au sentiment de répondre à de pures logiques gestionnaires et quantitatives plutôt qu’à une logique qualitative d’éveil des enfants ». Contre ces dérives, il est temps d’agir et de faire le choix du local, à taille humaine, pour prendre soin des humains, des plus fragiles, vieux ou jeunes.

Biens communs, de quoi parle-t-on ?

(Article paru dans la lettre d’information Confinews d’avril 2023)

Bien commun, sens commun au singulier, ou « les » communs au pluriel, le mot a émergé dans les débats sans qu’on s’attarde vraiment sur sa signification. Bref, c’est devenu un mot-valise qui permet de transporter, au choix, une réponse alternative à la financiarisation de la vie publique, ou une nouvelle approche de l’intérêt général, l’idée étant toujours de retrouver une dimension collective ou de se projeter dans un futur partagé possible. Derrière les mots, quelle réalité ?

Propriété collective, gouvernance partagée, les communs sont ces ressources gérées collectivement par une communauté. Historiquement, cette notion renvoie au local. Dans la société médiévale, les communaux désignaient la propriété collective de la communauté villageoise ou un droit d’usage collectif sur des propriétés privées. En France, les sections de commune (entre 30.000 et 100.000 selon les estimations) sont encore aujourd’hui les héritières de cet usage villageois que la Révolution n’a pu abolir et que la République continue de respecter, même si une loi de 2013 interdit la création de nouvelles sections de commune. Dans certains départements, notamment dans le Massif central, ce système de propriété, composé de forêts, terres agricoles et pastorales, continue à ouvrir aux habitants des droits d’usage quotidien (eau, bois de chauffage, pâtures, alimentation…).

L’article 714 du Code civil, inchangé depuis 1803, précise qu’ « il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous. Des lois de police règlent la manière d’en jouir. » Les choses sans maître comme l’air, la lumière, l’eau, des ressources pasforcément inépuisables mais indispensables. Comme il y a un patrimoine commun à l’humanité, les fonds marins ou l’Antarctique, il y a un patrimoine commun de la Nation, l’eau, « les espaces, ressources et milieu naturels, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent »

Un bien commun comme un cours d’eau, un fleuve ou une rivière, contribue à l’irrigation, la navigation ou la production d’électricité. C’est toute la question de la gestion des ressources, surtout quand elles sont limitées comme pour l’eau en période de sècheresse, avec les interdictions d’arrosage ou de remplissage des piscines. Qui a le droit de mobiliser l’eau des nappes phréatiques pour un usage exclusif à partir de méga-bassines ? Avec la raréfaction des ressources, leur partage redevient une grande affaire. Ces ressources sont à nouveau perçues comme UN bien commun, et les meilleures façons de les valoriser peuvent contribuer à la création DES biens communs, au profit de tous.

Dans un pays comme la France où la culture d’État est très forte, on confond encore trop souvent les biens communs avec les biens publics. Nos grands juristes du droit public ont montré comment, au XIXe siècle, l’État avait préempté le commun pour s’en arroger le monopole. La politiste Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie 2009 a éclairé à travers ses commons studies les perspectives nouvelles offertes par la vieille idée aristotélicienne du bien supérieur qu’est le bien suprême de la communauté. Les communs ouvrent à de nouvelles formes d’engagement, d’organisation et de coopération, et surtout, selon l’économiste, ils peuvent être plus efficace que l’État ou les marchés. Aujourd’hui, certains identifient les communs du côté de l’open data ou des logiciels libres, d’autres dans le mouvement coopératif, dans les mutuelles et plus généralement dans l’économie sociale et solidaire. Quels sont ces nouveaux communs ? Des espaces urbains transformés en jardins partagés par les habitants, les textes des contributeurs à l’encyclopédie Wikipédia, des logiciels libres ou des semences libres…

« Ce n’est pas un hasard si les termes de “commune“ et de “commun“ contiennent la même racine. À taille humaine, la commune constitue le lieu d’élection de la mise en œuvre du commun, observe l’économiste Édouard Jourdain : Plusieurs mouvements dans le monde mobilisent la notion de commun pour réinvestir démocratiquement la ville, rejoignant ainsi la notion de municipalisme qui consiste pour les habitants à se réapproprier les choses communes qui ont pu être préemptées par des autorités publiques ou des entreprises privées». L’Italie est plus avancée que la France dans ce domaine. À l’initiative des habitants, des expériences participatives ont été lancé à Naples puis à Bologne, première ville à adopter un règlement sur la collaboration entre citoyens et administration pour le soin et la régénération des biens communs urbains.

La décentralisation, façon puzzle

(Article paru dans la lettre d’information Confinews de février 2023)

Alors que l’actualité politique française est dominée par une énième réforme des retraite, le président de la République a reçu le 13 mars les représentants des principales associations d’élus locaux pour faire progresser la décentralisation dans notre pays. Emmanuel Macron a surtout écouté les demandes et propositions des élus locaux. Deux autres réunions de travail sont prévues auxquelles seront conviés le président du Sénat et la présidente de l’Assemblée nationale. Des annonces de transfert de compétences et réforme institutionnelle pourraient être faites avant l’été. 

Dans un discours à Château-Gontier, en Mayenne, en octobre dernier, Emmanuel Macron a promis une « vraie décentralisation », assortie de transferts de responsabilités et de financements. La décentralisation française est un chantier permanent mais elle reste un concept politico-administratif surtout compréhensible pour les élus et les cadres administratifs. Depuis la réforme constitutionnelle de 2003, la décentralisation est pourtant gravée dans le marbre de l’article 1er de notre loi fondamentale : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. […] Son organisation est décentralisée. » Cette organisation décentralisée est supposée de pas être seulement une disposition technique mais bien un élément structurant de notre projet de société.

Il y a quelques années, l’Institut Médiascopie avait réalisé une étude sur les mots de la décentralisation. Si les mots de maire, commune, département et région bénéficient d’une image positive et d’une forte reconnaissance de la part de nos concitoyens, tout comme le concept de proximité, le jugement se dégrade définitivement avec le mot décentralisation qui est souvent perçu comme désengagement de l’État. La communication est brouillée, les commentateurs, voire les journalistes politiques parfois, utilisent le mot décentralisation pour parler de délocalisation, c’est-à-dire des transferts d’établissements publics de Paris vers la province, et de déconcentration qui signifie une organisation plus autonome des services de l’État dans les régions et départements.

La Cour des comptes vient de publier, dans son rapport annuel 2023, une excellente synthèse en forme de bilan de quarante ans de décentralisation, et conclut que « le statu quo n’est pas tenable. Il convient donc de préparer les conditions d’une réforme ambitieuse en activant l’ensemble des leviers disponibles pour, dans l’immédiat, simplifier l’organisation et mieux coordonner les interventions des différents échelons de gestion locale et des services déconcentrés de l’État ». Les magistrats financiers concluent qu’ « il s’agit en définitive de renouer avec les trois objectifs fondateurs de la décentralisation : renforcer la démocratie locale, rapprocher la décision politique et administrative du citoyen, améliorer l’efficacité́ et l’efficience de la gestion publique. » 

Vaste chantier car, quatre décennies après les grandes lois de décentralisation Mitterrand-Defferre, l’organisation politico-administrative française révèle une décentralisation façon puzzle : complexité, compétences partagées, voire éparpillées, entre les différents niveaux de collectivités, l’État et ses grands établissements publics. Les blocs de compétences sont souvent mal définis. Chaque niveau veut intervenir dans tous les domaines et aucun n’est pas prêt à abdiquer la moindre parcelle de pouvoir. La décentralisation, comme la simplification administrative, demeure une idée neuve dans notre pays et risque de le rester encore longtemps. 

Contre l’isolement, des liens qui libèrent

(Article paru dans la lettre d’information Confinews de février 2023)

Selon une étude récente de la Fondation de France, quelque 11 millions de personnes de notre pays, soit 20 % des plus de 15 ans, se sentent seules, et 80 % en souffrent. Même une vie sociale dense ne protège pas du sentiment de solitude, insistent les auteurs du rapport sur les « fragilités relationnelles ». 

À notre époque d’individualisme triomphant, apparaît ainsi une nouvelle forme de pauvreté : la misère n’est plus de manquer de biens mais de liens. Faudra-t-il demain créer en France un ministère de la solitude comme le Japon l’a fait en 2021 afin de limiter le nombre de suicides en forte hausse après la crise de la Covid19 ? Le Japon a décidé de mettre au même niveau la pauvreté monétaire et la misère relationnelle et a qualifié cela avec un critère intitulé « l’exclusion de soi ».

Nous avons tous besoin d’être reliés mais hélas trop de nos concitoyens vivent une grande solitude qu’ils n’ont pas choisies. Il ne faut pas confondre isolement subi et solitude. On a besoin de solitude pour mieux entendre, voir, goûter. La solitude est une respiration nécessaire. Rien de semblable avec l’isolement social dans lequel on s’emmure, qui crée un sentiment de solitude et devient une souffrance. Pour les auteurs de l’étude de la Fondation de France, cette solitude douloureuse est aussi un tabou : « Dire que l’on est seul ou isolé, c’est exposer un pan de son intimité. C’est afficher, dans une société qui valorise la production et l’entretien de liens, une incapacité relationnelle, un rejet ou une mise à l’écart. C’est apparaitre aux yeux des autres comme amputé d’une disposition consubstantielle de l’existence ».

Une autre enquête menée par le Labo de la fraternité qui regroupe une cinquantaine d’organisations engagées dans la solidarité et l’engagement collectif, révèle que le sentiment de solitude touche davantage les jeunes et les urbains : près de 68 % des 18-24 ans contre 49 % pour les 65 ans et plus. Ce sentiment de solitude concerne davantage les habitants de l’agglomération parisienne (64 %) que les habitants des zones rurales (51 %).

C’est à l’échelon local qu’on pourra trouver les solutions adaptées, pas dans un programme ministériel ni dans une loi ou par décret. Réseaux de voisinage, associations, vie de quartier ou de village : c’est là que peuvent se retisser les liens à mettre en œuvre pour des approches d’accompagnement, pour encourager la confiance et permettre l’émancipation.

Il est des liens qui libèrent. L’expression “les liens qui libèrent“ est parfaitement adaptée. Cet apparent oxymore inventé par le psychanalyste Jacques Lacan devrait nous inspirer. Chez Lacan, il s’agissait d’expliquer le lien transférentiel, l’analyse ne consistant pas à̀ être libéré́ de son symptôme mais « à ce qu’on sache pourquoi on y est empêtré ». Mais on pourrait décliner et comprendre cette formule par bien d’autres chemins. Ce lien qui nous libère nous lie dans des solidarités de proximité. « Pourquoi moi, s’il n’y a que moi », s’interrogeait Alexandre Soljenitsyne. Nous ne sommes pas seulement des individus mais des personnes relationnelles. « Je » a besoin du « tu ». 

« Nos quartiers ou nos villages ne peuvent pas devenir des déserts relationnels »

Les CCAS (centres communaux d’action sociale) sont en première ligne pour lutter contre l’isolement, surtout quand il est amplifié par la précarité, le handicap ou la dépendance. Agen est l’archétype de la ville moyenne. Son maire, Jean Dionis, dresse un triste constat : « Nous avons 18 000 adresses postales sur toute la ville, 10 000 d’entre elles concernent des personnes vivant seules ». Son adjointe en charge de la cohésion sociale, des personnes âgées, Baya Kherkhach, précise que « 7 200 personnes sont âgées de plus de 60 ans et 1 420 sous le seuil de pauvreté ». 

De plus en plus de CCAS mettent en œuvre la démarche d’ “aller vers“. Après la première canicule meurtrière de 2003, les mairies ont établi des listes de personnes vulnérables isolées, les mêmes qui ont pu être contactées dès les premiers confinements de la pandémie Covid 19. Depuis, un tissu relationnel se recrée. À Agen, Le « Aller vers » se décline à l’échelle des quartiers à partir des listes électorales, des fichiers plan canicule, des services des bailleurs sociaux mais aussi avec les associations, les centres sociaux, les conseils de quartier, les voisins… « Les commerçants sont également une bonne source de connaissance » ajoute Yann Lasnier, délégué général des Petits Frères des Pauvres. Quatre jeunes en service civique ont été engagés pour aller à la rencontre des seniors qui ont été repérés. Des acteurs sociaux détecteront les besoins de la personne, allant de simples visites régulières à une intervention sociale plus importante.

« Nos quartiers ou nos villages ne peuvent pas devenir des déserts relationnels », alerte Jean-François Serres, fils du philosophe Michel Serres, à l’origine du programme “Monna Lisa“ qui combat l’isolement des personnes âgées. Il appelle à renforcer « le socle de relations, et qu’on n’en parle pas comme si cela était acquis ». 

Pour Jean-François Serres, « si notre société s’affaisse, c’est parce que le tissu relationnel s’appauvrit. Une société qui est riche des relations dont les membres sont tissés ensemble pour que chacun soit dans un entourage et un support social suffisant peut traverser les crises sans trop de dommages. Mais une société qui a un tissu social qui se défait, qui se troue, se déchire dans les moments de crise ». Il n’hésite pas de faire le parallèle avec la transition écologique : « On ne parle pas assez de ce socle de relations informelles qui fondent nos sociétés, l’isolement social devient un mal silencieux, ignoré, souvent intériorisé dans une perte d’estime de soi. La lutte contre l’isolement qu’on n’a pas choisi, contre la perte de réseaux, participe d’une transition sociale, d’un écosystème qui doit être le centre de notre réflexion ».

Les collectivités territoriales financent les trois quarts de la politique culturelle

La politique culturelle de la France ne se construit pas rue de Valois au siège du ministère de la culture mais bien au quotidien dans les collectivités territoriales qui en financent près des trois quarts. L’Atlas culture 2022 réalisé par le département des études, de la prospective, des statistiques et de la documentation (Deps-doc) du ministère de la Culture[1], livre des enseignements très instructifs dans la variété des politiques culturelles. 

On compte dans notre pays près de 15.700 bibliothèques et points d’accès au livre. Neuf Français sur dix résident désormais dans une commune ou intercommunalité offrant l’accès à au moins un lieu de lecture publique[2]. Conservatoires, spectacle vivant et cinéma, patrimoine historique, les collectivités sont sur tous les fronts de la culture.

En 2019, les dépenses culturelles publiques du ministère de la Culture et des collectivités territoriales[3]s’élèvaient à 13,4 milliards d’euros. Le bloc local des communes de 3.500 habitants et plus et de leurs intercommunalités en assument près de 60 %, soit près de 7,9 milliards d’euros, auxquels viennent s’ajouter les dépenses culturelles des collectivités départementales et régionales, soit, respectivement, 950 millions d’euros (7 %) et 770 millions d’euros (6 %). La même année, avant la crise Covid 19, les dépenses du ministère de la Culture atteignaient 3,8 milliards d’euros. Ces dépenses représentent 127 euros par habitant pour le bloc local, communes et intercommunalités, 15 euros pour les départements et 11 euros venant des régions. Le bloc communal est le niveau de collectivité publique qui affecte la part la plus élevée de son budget à la culture, 7 % en moyenne, contre 1 % à 2 % en moyenne pour les autres niveaux. 

Plus de la moitié des crédits du ministère sont dépensés en Ile-de-France (près de 2,4 milliards d’euros en 2019), là où se situe l’administration centrale et surtout de grands établissements publics culturels nationaux (Le Louvre, Versailles…). Dès lors, hors Ile-de-France, les collectivités territoriales assument selon les régions de 80 % à 88 % des dépenses culturelles publiques en région.

Bonne nouvelle, les territoires ruraux ne sont plus des déserts culturels. On ne compte plus le nombre de festival qui fleurissent sur tout le territoire même si les troupes de théâtre et les musiciens préfèrent les villes (49 % des lieux de spectacle vivant sont situés en zone urbaine dense). En 2020, on comptait 2 071 cinémas actifs pour près de 6 300 écrans (les mono-écrans représentent encore 55 % du parc). Six cinémas sur dix sont classés Art et essai, soit 44 % des écrans et 41 % des fauteuils. Plus de la moitié des établissements classés Art et essai sont situés dans les communes rurales et petites villes, seulement 10 % dans des agglomérations de 100.000 habitants ou plus. Si, en moyenne, les cinémas Art et essai réalisent 38 % des entrées en 2020, cette part varie selon la taille de l’unité urbaine : elle représente près d’un quart des entrées dans les unités urbaines de plus de 200 000 habitants et à Paris, et près des trois quarts dans les communes de moins de 50 000 habitants.


[1] Atlas Culture : dynamiques et disparités territoriales culturelles en France, par Edwige Millery Jean-Cédric Delvainquière Ludovic Bourlès, Sébastien Picard, chargés d’études au Département des études, de la prospective, des statistiques et de la documentation (Deps-doc) du ministère de la Culture.

[2] Bibliothèques municipales et intercommunales. Données d’activités 2018, synthèse nationale, Service du livre et de la lecture, ministère de la Culture, 2021. 

[3] Pour les 3196 communes de plus de 3500 habitants et les 886 groupements de communes à fiscalité propre comptant au moins une commune de plus de 3 500 habitants.