En inventant le conseiller territorial, le Comité Balladur avait cru trouver la solution à la rationalisation des multiples étages de l’administration décentralisée de la France. L’idée était simple : en faisant siéger les mêmes élus à la fois au conseil général et au conseil régional, on rapprochait les deux niveaux de collectivités territoriales, le département devenant une circonscription infrarégionale. Edouard Balladur avait eu cette formule imagée : « on fera disparaître les départements par évaporation ». Venant de l’ancien Premier ministre qu’au temps de la cohabitation, François Mitterrand avait un jour qualifié d’étrangleur ottoman, on savourera la modus operandi pour en finir avec les départements. Pour bien souligner la cohérence de sa proposition, Edouard Balladur a d’ailleurs indiqué lors de son audition il y a quelques semaines par la commission des lois de l’Assemblée nationale qu’il était favorable à l’élection à la proportionnelle des futurs conseillers territoriaux.
On connaît la suite. L’UMP a préféré un scrutin majoritaire par canton – certes à deux tours dans des cantons dont les périmètres vont être actualisés – qui fera du conseiller territorial un super conseiller général. A défaut de régionaliser le département, on est en train de départementaliser les régions et de revenir à la fédération de départements, fonctionnement qu’on a connu avant les premières élections régionales de 1986. En localisant l’intérêt du futur conseiller territorial aux limites de son canton, on perd de vue l’approche globale du développement régional et ce qui fait aujourd’hui la modernité des conseils régionaux.
Autre risque dont on a peu parlé. Siégeant à la fois à la région et au département, les futurs conseillers territoriaux devront être des élus à temps complet. Il ne sera plus possible de mener de front une activité professionnelle avec un mandat local comme c’est le cas aujourd’hui d’une majorité de conseillers généraux et régionaux. L’UMP est encore plus concernée que le PS par cette évolution prévisible de la sociologie politique, la formation de droite recrutant davantage que la gauche dans le vivier des professions libérales, des indépendants ou des cadres du secteur privé dont le statut est moins protecteur que celui des fonctionnaires qui n’hésitent pas à franchir le pas de la politique à plein temps.
Le sort des futurs conseillers territoriaux sera-t-il tranché, au final, par le Conseil constitutionnel ? On peut le penser car les juristes émettent de plus en plus de doutes sur la constitutionnalité du projet. Géraldine Chavrier, Professeur de droit public, Ecole de droit de la Sorbonne – université Paris I, directrice du GIS-GRALE-CNRS, l’a bien montré il y a quelques semaines dans un article de l’AJDA (Actualité juridique – Droit administratif). En 1985, le Conseil constitutionnel avait jugé conforme à la Constitution la mise en place, en Nouvelle-Calédonie, d’élus communs à deux assemblées délibérantes. Cependant, sa jurisprudence a, depuis, évolué et il n’est pas sûr que le même raisonnement s’applique. En outre, le mode de scrutin prévu apparaît éminemment critiquable au regard des principes d’égalité et de sincérité du suffrage. A suivre…