Puisque de plus en plus de collectivités territoriales sont financièrement exsangues, c’est peut-être le moment de sortir des chemins balisés et d’explorer de nouveaux modes de financement à mobiliser pour le développement local. Je suis allé voir ce qui se passe du côté de l’économie sociale et je suis tombé sur des exemples intéressants d’initiatives citoyennes concernant des projets d’énergie éolienne. Avez-vous entendu parler de la commune de Montdidier (6.000 habitants, Somme) qui a inauguré en janvier 2011 son propre parc éolien ? Dans ce cas, il s’agit d’une régie communale classique, l’électricité produite appartient à la commune, qui la négocie avec EDF. Les éoliennes produisent 19.000 MWh par an, soit plus de la moitié de la consommation électrique de la commune. La maire de la commune, Catherine Quignon-Le Tyrant, que j’avais entendue présenter son projet lors du forum des idées “Biens communs, services essentiels“ organisé par le député de l’Isère, François Brottes, expliquait que le parc public avait l’avantage de « faire bénéficier la population locale de 100% de ses retombées économiques. » Les bénéfices tirés de la vente de l’électricité éolienne à EDF financent des actions de développement durable: enfouissement des réseaux électriques, amélioration thermique des bâtiments communaux, et maîtrise de la demande de l’électricité des particuliers dont l’aide aux installations de chauffage. Il faut préciser que Montdidier avait déjà investi dans des énergies alternatives avec le lancement d’un réseau de chaleur bois, l’installation de panneaux photovoltaïques, et l’isolation thermique de bâtiments publics.
Les Cigales, l’investissement populaire pour les éoliennes bretonnes
À Béganne, aux confins de trois départements, Loire-Atlantique, Morbihan et Ille-et-Vilaine, l’initiative n’est pas pilotée par la mairie, c’est un projet d’initiative citoyenne. Deux parcs éoliens sont en phase de développement, celui de Béganne (Morbihan) et Sévérac-Guenrouët (Loire-Atlantique). Pour la phase d’étude et de développement du projet, les habitants regroupés en association ont initié la création d’une Sarl, réunissant vingt-quatre adhérents de l’association. D’autres habitants du territoire, regroupés en Cigales (Clubs d’Investisseurs pour une Gestion Alternative Locale de l’Economie Solidaire), ont rejoint la Sarl pour soutenir le projet. Au total, 84 particuliers sont associés directement ou via des Cigales dans la société. Le conseil général de Loire-Atlantique a aussi intégré la Sarl à travers sa société d’économie mixte dédiée aux énergies renouvelables, la SEM ENEE 44. Des centaines de particuliers qui suivent le projet depuis des années ont ensuite manifesté leur souhait de participer au financement du parc éolien citoyen de Béganne. Aujourd’hui, il y a déjà 41 Cigales créées ou en cours de création, regroupant plus de 400 personnes pour un investissement de l’ordre de 700.000€.
Il a fallu l’autorisation de l’AMF (Autorité des marchés financiers) puisque le projet associe plus de 99 personnes à une société. Pour régler cette difficulté juridique de l’OPTF (offre au public de titres financiers), et permettre l’émergence d’autres projets éoliens citoyens en France, l’association EPV (Eoliennes en Pays de Vilaine) a initié la création d’un outil financier dédié : la société Énergie, société en commandite par actions (SCA) pour proposer au grand public d’investir dans plusieurs projets de production d’énergies renouvelables et solidaires. Finalement, entre 3 et 4 millions de fonds propres seront assurés par les citoyens et les collectivités locales, et EPV va contracter un emprunt de 8 millions d’euros auprès d’un pool bancaire. Selon l’association, le retour sur investissement se fera au bout de quinze ans.
Selon ma consœur, Lauriane Rialhe (Actu-Environnement), de tels projets d’économie sociale locale, sont très répandus en Europe du Nord : « le Danemark est le pays le plus équipé en éoliennes si l’on compare la puissance installée par habitants. Avant 1996, tous les parcs danois étaient détenus par des particuliers sous des formes coopératives. La loi impose désormais que 20 % des parcs éoliens offrent une participation locale. En Allemagne, leader mondial de l’éolien, dans les années 1990, les investissements étaient portés par des agriculteurs et des particuliers à l’initiative de petits projets. Depuis les années 2000, des fonds de placement ouverts au public ont été crées par des sociétés spécialisées. » Elle raconte l’initiative belge de “l’éolienne des enfants “, menée à Mesnil-Eglise, par l’association Vents D’Houyet. « Soutenus par des subventions européennes, wallonnes et assistés d’un prêt bancaire, 800 enfants ont réuni pas moins de 800.000 euros : leurs parents ont en fait investi 2.000 parts de 100 euros dans la construction de l’aérogénérateur. Ces parts ont permis de financer 25 % de l’investissement, le reste étant pris en charge par des prêts bancaires. Chaque part rapporte 3 % d’intérêts bloqués sur dix ans. »
Coopérative pour le très haut débit dans la ville natale de Van Gogh
Autre exemple réussi dans un domaine différent : à Nuenen (23.000 habitants, Pays-Bas), une coopérative télécom a été créée en 2005 avec les habitants pour développer un réseau en fibre optique. Dans la ville natale de Vincent Van Gogh, cette coopérative fait du développement local grâce à l’épargne populaire locale pour fournir aux habitants les bénéfices d’un accès très haut débit aux services triple play (télévision, téléphonie et Internet ultra rapide) et à des services (terminaux pour assurer des consultations médicales à domicile, la télésurveillance, les transmissions sportives, des services locaux, etc.). 90 % de la population de la ville est ainsi connectée au très haut débit. Le quotidien les Echos a consacré au début du mois une page de reportage sur cette initiative qui pourrait faire des émules. C’est passionnant et prometteur.
Illustration : les investisseurs citoyens de Beganne