Diminution continue de la gestion directe des services publics locaux

Je présentais hier la nouvelle édition de l’Atlas des Modes de gestion des services publics locaux dans le cadre de l’assemblée générale de l’Institut de la gestion déléguée (IGD). Pour sa troisième édition, ce document réalisé avec l’IGD et les associations de collectivités territoriales, France urbaine, Villes de France et Assemblée des communautés de France, a élargi son périmètre d’étude et a intégré les évolutions issues des réformes territoriales des lois NOTRe et MAPTAM.

En 2013, la première édition portait sur les villes de plus de 100 000 habitants. En 2015, la deuxième édition s’ouvrait aux villes de plus de 40 000 habitants. La nouvelle édition concerne l’ensemble des villes ou intercommunalités de plus de 30.000 habitants, avec communes-centres de plus de 15.000 habitants, soit l’ensemble des communautés d’agglo.

L’Atlas inventorie les modes de gestion (régie directe, gestion déléguée…) et le rattachement de compétence (communes ou interco) de 14 services et politiques publiques locales : distribution de l’eau, assainissement, collecte des déchets, valorisation des déchets, transports urbains, stationnement, réseaux de chaleur, éclairage public, restauration collective, accueil collectif de la petite enfance, centres des congrès-zénith, équipements sportifs et culturels.

Tous secteurs confondus, notre étude révèle un recours à la mixité des modes de gestion (gestion publique directe et gestion déléguée sur un même territoire) de plus en plus fréquent. Cela s’explique en partie par la fusion d’intercommunalités qui avaient précédemment des modes de gestion différents.

On enregistre aussi la montée en puissance de la gestion des services publics locaux à l’échelle des EPCI au détriment, d’une part, des communes et, d’autre part, des syndicats intercommunaux. Rappelons que pour les grandes politiques environnementales, la loi NOTRe prévoit le transfert obligatoire des compétences eau et déchets vers les EPCI à fiscalité propre à compter du 1er janvier 2020, la loi du 3 août 2018 précisant que le transfert des compétences eau et assainissement pouvant être reporté au 1er janvier 2026 en cas de minorité de blocage au sein de l’EPCI. En revanche, des activités telles que la restauration collective ou l’accueil collectif de la petite enfance restent, pour l’heure, très majoritairement communales.

Enfin, même si la réversibilité des modes de gestion n’est plus un tabou dans un grand nombre de domaines, on observe un besoin de stabilité, les évolutions à venir sur le choix des modes de gestion étant souvent dictées par un besoin d’harmonisation au sein des intercommunalités.

Pas d’approche idéologique dans le choix des modes de gestion

Les résultats de notre recensement permettent de confirmer trois enseignements déjà délivrés par les précédentes éditions :

– Contrairement à une idée reçue largement répandue, le choix du mode de gestion des services publics locaux n’a pas de lien avec l’appartenance partisane des exécutifs locaux. Par exemple, la gestion directe est majoritaire à Nice et la gestion déléguée dominante à Cergy-Pontoise…). Le mode de gestion est souvent le fruit de l’histoire, de choix anciens qui n’ont pas été remis en question au gré des alternances politiques, d’une culture du territoire aussi, mais surtout il est le fait de décisions pragmatiques, de choix clairement assumés du mode de gestion qui apparait aux élus des territoires comme étant le mieux adapté à leur situation, à leurs moyens financiers, humains et techniques.

– Il n’existe pas de territoire qui gère la totalité de ses services publics d’une seule manière, ce qui renforce l’idée selon laquelle le choix est avant tout pragmatique.

– Aucun service public n’est géré de manière uniforme sur tout le territoire national ou sur l’ensemble de l’échantillon étudié. Même s’il existe des tendances lourdes, liées certainement à la technicité ou à la complexité de certains services publics (par exemple les réseaux de chaleur sont massivement délégués à des opérateurs spécialisés), mais il n’y a pas d’uniformité en la matière.

Ces trois enseignements sont confirmés et l’édition 2019 de l’Atlas permet de nouveaux constats. D’abord, la recomposition territoriale, née des importantes réformes de 2015 en cours, n’a pas encore apporté tous ses fruits. Les mutations vont se pourvuivre. La fusion d’EPCI avec l’élargissement de périmètres a laissé perdurer des contrats existants et parfois des modes de gestion différents. L’harmonisation des modes de gestion de leurs services publics sera assurément un dossier pour le prochain mandat 2020-2026. Ensuite, on observe moins de réversibilité (de changement de modes de gestion) dans les plus petits territoires et la gestion directe y est plus forte. Enfin, il n’y a pas de mouvement de “remunicipalisation“, contrairement à ce que peuvent dire certains commentateurs politiques.

La gestion directe a reculé fortement dans les grandes villes

La première édition de l’Atlas 2013 portait sur les grandes villes de plus de 100.000 habitants. Il est intéressant de pouvoir comparé et mesurer les évolutions qui se sont accomplies au cours du cycle électoral municipal (En 2013, on est à la veille des municipales de 2014 comme aujourd’hui, on l’est des élections de mars 2020).

Pour la distribution de l’eau potable, on enregistre une augmentation de 20% des EPCI titulaires de la compétence quand les communes ont vu leur part diminuer de 16%. Il en va de même concernant le stationnement dont la proportion d’EPCI compétents a augmenté de 29%, ou encore en matière de réseaux de chaleur où elle est passée de 28% à 67%.

La mixité des modes de gestion pour un même service et sur un même territoire augmente progressivement . C’est par exemple le cas en matière de collecte des déchets ou la mixité des modes de gestion est passé de 14% à 42%, soit une augmentation de 28% ou encore en matière de distribution de l’eau potable ou elle augmente de 24%. Cela peut s’expliquer par la fusion d’intercommunalités mais aussi par le choix des élus locaux de créer une émulation public/privé en ayant une possibilité de comparaison et donc d’évaluation dans la délivrance du service qui peut être déléguée à un opérateur dans un quartier ou assurée en gestion directe dans un autre. Pour la délivrance de certains services, des opérateurs privés peuvent intervenir à certaines étapes (par exemple en restauration scolaire, gestion déléguée pour la production des repas en cuisine centrale et gestion directe à la cantine°

Sur la période 2013-2019, dans les villes de plus de 100.000 habitants on mesure l’augmentation très nette de la gestion déléguée dans plusieurs domaines : pour la valorisation des déchets, on passe de 43% à 53%. Pour la restauration collective, la gestion déléguée augmente de 9%. La gestion directe recule de 3% à 14% selon les domaines à l’exception des crèches où la pluralité de solutions l’emporte. Pour la gestion de l’éclairage public, la diminution est de 17%.

Méthodologie : L’enquête a été menée par téléphone et/ou en ligne par la société Axe Image. Les résultats de cette cartographie ont été obtenus à partir d’un questionnaire accompagné d’entretiens directifs. Des commentaires qualitatifs ont été apportés aux réponses par les directions générales des collectivités et EPCI.

Pour chaque secteur, il a été demandé :

– d’identifier l’autorité responsable et organisatrice (commune, communauté d’agglomération, communauté urbaine ou métropole, syndicat au périmètre plus vaste)

– de préciser le mode de gestion actuel de ce service public local (gestion directe, gestion déléguée à une entreprise ou à une SEM, ou la mixité des modes de gestion)

– d’indiquer les changements de mode de gestion intervenus (en 2000 et en 1990)

– d’informer sur une éventuelle réflexion du mode de gestion à venir, le principe de réversibilité étant consubstantiel à la gestion des services publics locaux.

 

 

Complexité et fragilité de la fiscalité locale française

Le Conseil économique, social et environnemental(CESE) vient de voter et de publier dans l’indifférence générale un avis “Pour une réforme globale de la fiscalité locale“. Ses conclusions et préconisations ne sont guère originales, la méthode consensuelle du CESE étant généralement limitative, mais la lecture du rapport est très instructive car ce travail se différencie des autres études et rapports sur la fiscalité locale. Les rapporteurs du CESE, Jean-Karl Deschamps et Didier Gardinal (photo ci-dessus) ont procédé à une trentaine d’auditions et apportent un éclairage décalé sur notre système fiscal local, étayé notamment par des comparaisons internationales. Saluons aussi la présentation de ce travail sur le site du CESE très pédagogique avec une série d’interviews des experts et élus auditionnés.

Le CESE constate une organisation fiscale complexe, caractérisée par une multiplicité de taxes, des règles complexes d’affectation des impôts et taxes par niveau de collectivité, un système de dégrèvements et de compensations opaque, un système de péréquation peu lisible, comprenant 16 fonds de péréquation différents, des règles d’affectation complexes, manquant d’objectif clair en matière de réduction des inégalités et qui n’a pas fait l’objet depuis vingt ans, d’une véritable évaluation. « Le résultat de cette complexité est un système composite et opaque, peu lisible par les élus et les citoyens. Cette multiplicité des règles et des acteurs rend difficile la lecture du financement des collectivités locales et de la réalité de la pression fiscale exercée sur le contribuable », concluent les auteurs du rapport.

Les rapporteurs commencent en rappelant utilement qu’en 2016, les ressources globales des collectivités locales se sont élevées à 230 milliards, soit 11,3 % du PIB et 19 % des ressources de l’ensemble des administrations publiques. Les recettes proprement fiscales représentent un peu plus de la moitié de leurs ressources et les impôts locaux environ un tiers. D’autres recettes sont issues des tarifs et redevances ainsi que des recettes du domaine (14% des ressources). Pour leur part, les concours de l’État représentent le quart des ressources et les emprunts, 6%.  Entre 2012 et 2016, les ressources totales des collectivités locales ont progressé d’environ 0,5 % par an. La progression des impôts locaux et surtout des autres impôts et taxes, à un rythme supérieur à 3 % par an, a fait plus que compenser la baisse des concours financiers de l’État. Le poids des impôts locaux dans l’ensemble des recettes a ainsi augmenté progressivement sur les cinq dernières années, passant de 31,9 % en 2012 à 36 % en 2016.

Alain Trannoy, directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS), auditionné par le CESE, fait remarquer que 60 % des recettes des collectivités locales reposent sur l’immobilier et dépendent étroitement de la valeur de la « terre », ce qui fait dire que « le foncier est le juge de paix des collectivités territoriales ». Cette part prépondérante du foncier dans la fiscalité locale est une spécificité française, comparée à la plupart des autres états européens qui privilégient les impôts de flux assis sur les revenus des particuliers et des entreprises. Isabelle Chatry, cheffe de projet, réformes territoriales et finances locales à l’OCDE, rappelle qu’en Allemagne et en Espagne, près de la moitié des recettes fiscales locales vient de l’impôt sur le revenu, la proportion passant à 64 % en Suisse et à 85 % en Finlande, quand elles ne jouent aucun rôle dans la fiscalité locale en France. La France se distingue de ses partenaires européens par des recettes fiscales des collectivités locales assises pour plus de la moitié sur des impôts patrimoniaux (ou impôts de stock), alors que la plupart des autres pays privilégient surtout les impôts de flux, assis sur les revenus des particuliers et des entreprises. Les pays décentralisateurs se caractérisent aussi par l’importance des dépenses locales, qui constitue la contrepartie de leur relative autonomie, comme c’est le cas au Canada (19,4 % du PIB), en Suisse (13,4 %) ou en Allemagne (12,2 %). Pour autant, « un niveau conséquent de recettes fiscales locales n’est pas garant d’une plus grande autonomie fiscale. La part des recettes fiscales locales dans le total des recettes locales de la France (52 %) est ainsi relativement proche de celle observée en Suisse (54 %) ou en Allemagne (59 %). D’autres experts, Jean-Thomas Lesueur, délégué de l’Institut Thomas More, et Stanislas Boutmy, directeur Investissements publics d’ACOFI montrent qu’il est inutile de s’arc-bouter sur l’autonomie fiscale des collectivités qui est un débat en trompe-l’œil car ce qui importe avant tout, c’est l’autonomie financière.

Les rapporteurs du CESE constatent que là où l’impôt sur le revenu constitue la principale source de recettes fiscales locales, il est du fait de sa forte visibilité, mieux accepté par les citoyens qui ont intégré le fait qu’ils financent les collectivités locales. En même temps, leurs exigences en termes de disponibilité des services publics est plus importante vis-à-vis de l’exécutif local.

La complexité de notre fiscalité locale est accrue par la péréquation. « On compte au total 16 fonds de péréquation différents, avec chacun ses propres règles, de sorte de l’aveu même des représentants de l’administration fiscale, que seuls quelques experts s’y retrouvent », observent les rapporteurs. La multiplication des critères d’éligibilité et de répartition (potentiel fiscal, potentiel financier, effort fiscal, ressources par habitant.e, etc.) et les limites inhérentes à chacun d’entre eux, rendent difficile l’établissement d’un diagnostic sur le dispositif en place, qui pourtant manque cruellement. Ainsi, le potentiel fiscal, basé sur des bases cadastrales obsolètes s’agissant du foncier, ne reflète pas véritablement la capacité contributive des résidents. Selon le CESE, la réussite de la péréquation passe par son acceptation par toutes les parties prenantes, comme l’illustre le cas du Japon où les charges et les ressources des collectivités sont évaluées tous les ans et où il existe un véritable consensus sur les critères d’attribution. En France, on est loin de cette maturité. L’opacité et la complexité reste de mise.

Solutions en vue pour l’avenir de la fiscalité locale

Faut-il remplacer la taxe d’habitation par un nouvel impôt local et lequel ? On se souvient que la ministre Jacqueline Gourault avait été sévèrement recadrée par ses collègues de Bercy quand elle avait déclaré, en janvier dernier, que la TH serait remplacée par un autre impôt. Pas question d’un nouvel impôt local avaient répliqué en chœur Bruno Lemaire et Gérald Darmanin. Pourtant, Jacqueline Gourault avait raison : la réforme constitutionnelle de 2003 qui a consacré l’autonomie financière des collectivités territoriales interdit que le financement des collectivités territoriales repose majoritairement sur des dotations de l’État. Techniquement, la part minimale de leurs ressources propres ne peut être inférieure au niveau constaté en 2003, soit 60,8 % pour le bloc communal, 58,6 % pour les départements et 41,7 % pour les régions.

Le Comité des finances locales que préside André Laignel, 1er vice-président exécutif de l’AMF, a trouvé la solution pour garantir cette autonomie financière des collectivités territoriales en transférant au bloc communal l’intégralité de la taxe sur le foncier bâti et en affectant une part de TVA de l’État aux communes. Délestés du foncier bâti, les départements bénéficieraient d’une part modulable de CSG, impôt cohérent avec leurs compétences sociales. Cette proposition du Comité des finances locales a été validée à l’unanimité de ses membres. C’est une petite révolution de la fiscalité locale qui s’amorce. Il faut se souvenir qu’au début de la Vème République, le gouvernement Pompidou avait déjà proposé le transfert d’une part de TVA aux élus locaux qui avaient vigoureusement refusé, toujours au nom de leur autonomie financière. Au fil des décennies, la TVA a prouvé qu’elle est un impôt au dynamisme jamais démenti. Il y a deux ans, les régions ont constitué la première catégorie de collectivités à bénéficier de ce transfert. Reste à savoir comment pourrait s’opérer le transfert d’une part de TVA pour les communes et leurs intercommunalités et de CSG pour les départements. La discussion ne fait que commencer avec Bercy, mais l’attitude pro-active du Comité des finances locales est assurément positive.

Happy end ? Reste aussi que cela ne dispensera pas de l’actualisation des valeurs locatives, un chantier énorme et jamais achevé, car le foncier bâti et d’autres taxes locales restent calculés sur cette base. Le feuilleton de la fiscalité locale n’est pas près de finir. Bienvenue dans la saison 2018.

 

État-collectivités : La différentiation des territoires

Pour l’application de son programme, le président de la République préfère parler de transformation plutôt que de reformes. Est-ce le cas pour la relation entre l’État et les collectivités locales ? Après les annonces faites en juillet lors de la Conférence nationale des territoires, voici venue l’épreuve des faits à la veille de la présentation du projet de loi de finances pour 2018. Lors de la Conférence des villes, le 20 septembre, le Premier ministre a rappelé l’objectif de 13 milliards d’euros d’économies des collectivités territoriales sur cinq ans, mais il ne s’agira pas d’une baisse des dotations comme cela a été pratiqué lors du précédent quinquennat. “Nous, nous vous demandons de maîtriser sa hausse, c’est très différent ! C’est-à-dire que vos dépenses vont bien continuer à augmenter en valeur absolue. Mais nous vous demandons d’infléchir la courbe, afin de limiter cette augmentation“. Edouard Philippe a même annoncé qu’après trois ans de baisse de la DGF de l’ordre de 9,3 milliards d’euros, “les concours financiers aux collectivités territoriales ne baisseront pas en 2018. Ils seront même en hausse au global de près de 384 millions d’euros“, propos confirmés le même jour par son ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin.

Pour parvenir à la baisse des 13 milliards, le gouvernement va donc faire du sur-mesure, en ciblant les grands comptes territoriaux, les 300 ou 350 grandes collectivités qui représentent plus de 70 % de la dépense publique locale. Il leur sera demandé de maîtriser la hausse tendancielle de leurs dépenses de fonctionnement. Cela se fera localement dans le cadre de contrats avec des objectifs à atteindre. “Si chacun joue le jeu, contient ses dépenses de fonctionnement et réduit son endettement, alors nous n’aurons pas besoin de revenir à la rigidité des mécanismes correctifs“, explique le Premier ministre. C’est la première différentiation entre les collectivités, grandes et petites.

L’autre différentiation concerne l’évolution institutionnelle des territoires. Pas de réforme générale mais la possibilité ouverte aux métropoles et aux départements de se rapprocher sur le modèle lyonnais et aux départements volontaires de fusionner. “Nous soutiendrons les fusions de départements ou de communes, dès lors qu’elles répondent à l’intérêt général“, annonce le Premier ministre. Il faut prêter attention au discours d’Emmanuel Macron aux préfets, le 5 septembre dernier, quand il a déclaré que “l’égalité républicaine, aujourd’hui, passe par une approche différenciée, dans les analyses et les réponses qu’il faut apporter“. Le président de la République a demandé aux préfets de se mobiliser pour encourager les expérimentations et de nouvelles organisations avec des délégations de compétence ou transferts de services.

Cette approche différenciée marque une rupture avec le traditionnel jardin à la française dans lequel l’État organise, depuis plus de deux siècles, sa relation avec les collectivités de façon uniforme. Cette transformation annoncée résistera-t-elle à la culture administrative asymétrique entre Paris et les territoires ? En cette rentrée, l’État central a envoyé des signaux contradictoires aux collectivités territoriales. Le pire a été l’annonce brutale de la diminution des emplois aidés à quelques jours de la rentrée scolaire, créant des problèmes immédiats d’organisation qui ignoraient totalement la réalité territoriale. Le gouvernement a aussitôt essayé de corriger le tir en demandant aux préfets de réexaminer les situations locales. C’est un stop and go contreproductif quand l’exécutif essaie de persuader les élus locaux de sa volonté de transformer la relation entre l’État et les collectivités territoriales sur une base contractuelle et partenariale.

La fiscalité locale en retard d’une guerre

(Post du 30 juin 2017). Exonération de taxe d’habitation pour 80 % des contribuables locaux, actualisation des bases pour les locaux professionnels, les derniers soubresauts de la fiscalité locale inquiètent les élus locaux et les contribuables. Qu’il est difficile de parvenir à une fiscalité juste, à partir d’un système construit il y a plus de deux siècles sur les 4 vieilles et si peu adapté à l’heure du e-commerce et de la mobilité résidentielle ! Comme dans un jeu de mikado, toute modification risque de mettre à bas un édifice de plus en plus fragile et vermoulu.

Dernières nouvelles du front. Dans un communiqué, l’Alliance du commerce, qui représente 27.000 points de vente, s’inquiète des conséquences de l’actualisation des bases pour les locaux commerciaux qui pourrait entrainer une augmentation de 50 % de leur taxe locale pour les commerces de centre-ville. Les commerçants estiment que le montant de leur fiscalité locale représente déjà 5 % de leur chiffre d’affaires et se plaignent d’une hausse de 10 % entre 2010 et 2014. Le remplacement de la taxe professionnelle a laissé des traces douloureuses. Dans leur argumentation, les commerçants qui redoutent cette poussée de fièvre ne soulèvent pas la concurrence du e-commerce qui échappe à toute fiscalité locale en dehors que quelques entrepôts. Il faut savoir que Les transactions générées par le commerce électronique ont déjà atteint 72 milliards d’euros en France en 2016 et que les ventes sur internet ont progressé de 15% en un an. 1,029 milliard de transactions en ligne ont ainsi été effectuées, une augmentation de 23% par rapport à 2015. C’est une bombe à retardement pour notre système fiscal local et l’effort de justice fiscale par l’actualisation des bases ne sera d’aucun effet sur le bouleversement du commerce qui est en train de se produire.

L’autre sujet chaud, c’est bien sûr l’exonération totale de la taxe d’habitation (TH) pour 80 % des ménages, promise par Emmanuel Macron. Là, les défenseurs de cette réforme font valoir que la TH est devenue injuste car fondée sur des bases établies dans les années soixante-dix qui n’ont jamais été actualisées. Une étude de l’OFCE montre que la TH qui représente environ un tiers des recettes fiscales des municipalités, pèse pour 1,4 % du revenu disponible des ménages. Déjà, 15,5 % des ménages ne paient pas de TH. Avec la mesure annoncée, les classes moyennes pourraient économisé 0,7 % de leur revenu. Mais les élus savent bien que la compensation de 10 milliards d’euros promise aux collectivités territoriales ne sera jamais complète. Comme d’habitude.

Conférence girondine et culture jacobine

(Post du 16 juin 2017). C’était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron : “la Conférence girondine“, instance de dialogue continu et de négociation entre l’État et les collectivités territoriales. Cette appellation proposée par Gérard Collomb, ardent défenseur des pouvoirs locaux devenu ministre de l’intérieur, augurait d’un nouvel état d’esprit mais elle risque bien de se heurter à la culture jacobine de l’administration centrale et d’habitudes bi-séculaires. Peut-on espérer une rupture dans cette relation asymétrique ? Comment y parvenir ?

La Conférence nationale des territoires (appellation désormais officielle de la Conférence girondine) se réunira pour la première fois en juillet. Autour de la table, les représentants des collectivités territoriales à travers leurs associations dialogueront avec le gouvernement et l’administration. Le ministre de la cohésion des territoires et la DGCL sont à la manœuvre. Il est prévu qu’elle se tienne tous les six mois. La maîtrise des finances locales dans un contexte de baisse continue des ressources constituera le principal thème de négociation, principalement, la diminution des dépenses de fonctionnement avec un objectif d’évolution de la dépense locale (Odedel) qui pourrait devenir contraignant à l’exemple de l’Ondam déjà mis en œuvre pour les dépenses de santé. On y parlera aussi de nouveaux dispositifs pour soutenir l’investissement local.


“Si la Conférence nationale des territoires ne traite que d’économies, on va vite claquer la porte“, a prévenu André Laignel, le 14 juin, à l’issue de la dernière réunion du Comité des Finances locales qu’il préside. Encore une fois, les élus locaux se sont plaints de n’avoir eu communication de documents soumis à l’examen au dernier moment. Il y a urgence à changer de méthode et de définir des objectifs partagés et explicites à évaluer en permanence. Au delà, des grand-messes semestrielles, il faudrait un comité de liaison permanent avec des sherpas pour déminer les dossiers compliqués. C’est la méthode qu’en Allemagne, Wolfgang Schäuble, ministre fédéral des finances, avait mis en œuvre dans des réunions trimestrielles avec les responsables des finances des Länder. Rien à voir avec nos habitudes françaises où le compte-rendu de la concertation est parfois rédigé avant même la réunion

Dépenses publiques : de quoi parle-t-on ?

 

Il faut comparer ce qui est comparable. Alors que la question de la baisse des dépenses publiques est au cœur de la campagne présidentielle, l’Observatoire français de la conjoncture économique (OFCE) publie une note très instructive sur le poids des dépenses publiques comparé aux autres pays développés. Chez nous, les retraites, la santé ou l’éducation sont dispensées directement par les administrations publiques via des prélèvements obligatoires. Ailleurs, la dépense totale peut être aussi importante, voire plus, mais confiée au secteur privé.

En raisonnant à périmètres et services équivalents, tout financement confondu, les États-Unis sont le pays le plus dépensier pour les retraites et la santé avec 28,4 points de PIB. La France est à 25,5 points de PIB, seulement 2 points de plus que les Pays-Bas et l’Allemagne. De même, “la France se distingue des autres pays par son modèle social, sa démographie et son effort de défense qui impactent largement le niveau de sa dépense publique, elle n’affiche en revanche pas de singularité dans le recours à l’emploi public“, constatent les économistes de l’OFCE. La part de l’emploi public en France, quel que soit le type de contrat et d’activité, est de 20 %, soit un niveau légèrement inférieur à celui de la moyenne de l’OCDE, du Canada, du Royaume-Uni ou de l’Irlande et loin derrière les pays scandinaves. Le nombre de salariés du secteur non marchand est de 126 pour 1.000 habitants en France, équivalent à celui de l’Allemagne ou du Royaume-Uni, mais inférieur à celui des États-Unis (131) et loin derrière les pays scandinaves, Norvège en tête (186). Ce qui fait la différence, c’est la proportion de salariés qui ont un statut de fonctionnaires : 60 pour 1.000 habitants en Allemagne, 44 au Royaume-Uni contre 82 en France.

Dans notre pays, la rémunération des fonctionnaires (y compris leurs pensions de retraite) représente 23 % de la dépense publique (12,9 points de PIB) mais elle a peu augmenté entre 1980 et 2015 (+ 0,4 point de PIB). Si l’on exclut les pensions versées aux fonctionnaires, les salaires des agents publics représentent 11 points de PIB, soit environ 20 % de la dépense publique, et ont augmenté de 0,1 point de PIB depuis 1980. Ce qui est préoccupant, c’est la baisse de l’investissement public de 0,8 point de PIB sur la même période. L’investissement public a été très impacté par la politique de redressement des comptes publics observé depuis la crise (- 0,5 point de PIB depuis 2008), devenant ainsi la variable d’ajustement de nos dépenses publiques. N’ayons pas de vision simpliste.

Le social impact bond passe à la vitesse supérieure

 

L’émergence en France des “social impact bonds“, les fonds à impact social en bon français, vient de franchir une étape décisive avec l’initiative du groupe SNI, filiale immobilière de la Caisse des dépôts, de créer un fonds à impact social de 200 millions d’euros qui devrait permettre à l’État de réaliser 40 % d’économies dans les structures d’accueil d’urgence. Cette formule de “social impact bond“ ouvre la possibilité à des opérateurs de proposer aux pouvoirs publics des solutions durables en se rémunérant sur une partie des économies réalisées. À l’heure où l’argent public est rare, la formule est prometteuse.

Examinons l’initiative prise par la SNI. Actuellement, l’État recourt de plus en plus à la réservation de nuitées hôtelières dans le parc privé avec des coûts élevés et une réponse insatisfaisante. Avec sa filiale Ampère Gestion, société de gestion de portefeuille, le groupe SNI lance un fonds à impact social, dont la première opération porte sur le rachat de 62 hôtels de type Formule 1. Il fédère six investisseurs institutionnels pour acquérir ces hôtels, les transformer et les louer à ADOMA qui remplira les missions d’hébergement d’urgence. Avec la reprise d’autres immeubles en marge de cette opération, ce sont 7.700 places qui vont être ouvertes. Les nouvelles capacités d’hébergement seront toutes opérationnelles dans un délai de six mois et réparties sur l’ensemble du territoire (dont 26 % en Ile-de-France et 19 % en Auvergne-Rhône-Alpes). SNI annonce disposer de ressources suffisantes pour acquérir, au cours des deux prochaines années, des immeubles représentant 10.000 places d’hébergement d’urgence.

Le fonds à impact social concilie les impératifs de rentabilité et de liquidité des investisseurs et ceux de maîtrise des coûts et de qualité des prestations. Un évaluateur indépendant mesurera l’atteinte des objectifs sociaux, sur lesquels sera assise une partie de la rémunération des investisseurs. Jusqu’à présent, l’État avait mis en œuvre ce type de contrat au compte-gouttes, avec de petites opérations réservées à des actions de prévention innovantes imaginées par des acteurs sociaux (associations, entreprises solidaires) sur des besoins sociaux (illettrisme, insertion, précarité) en faisant financer par un investisseur privé (fondation, banque…). Avec l’initiative de SNI, on change d’échelle. Il est temps d’ouvrir cette formule à tous les donneurs d’ordre public dont les collectivités territoriales et leurs groupements.

Éloge des ronds-points

Il a longtemps été de bon ton de fustiger les ronds-points comme symboles de la gabegie des collectivités locales et des services de l’Équipement. Un stéréotype négatif comme il y en a tant d’autres sur la gestion publique locale qui, à force d’être répété, prend la forme d’une semi-vérité. Heureusement, le vent tourne et l’actualité récente réhabilite les ronds-points. Cela valait bien un éloge de ces mal aimés. Non, les élus locaux et leurs services techniques ne sont pas des irresponsables qui dépensent sans compter l’argent du contribuable.

Depuis des années, Denis Kessler, le PDG du réassureur Scor, vice-président du Medef, se fait applaudir aux universités d’été du mouvement patronal en fustigeant “les 30.000 ronds-points que les collectivités locales françaises ont construit depuis 30 ans“ en ajoutant que “plutôt que de tourner en rond, il faut remettre les finances locales dans le droit chemin“. Et cette antienne anti ronds-points est reprise par l’IFRAP, le think tank pour qui toute dépense publique est une dépense de trop. Ajoutez à cela le dénigrement des aménagements de ces fameux ronds-points car de beaux esprits ont créé un concours des ronds-points les plus moches de France et des sites Internet fleurissent pour dénigrer ces créations d’art populaire, certes parfois maladroites. Ces aménagements urbains qui visent d’abord à la sécurité routière méritent-ils tant d’indignité et d’indignation ?

Première réponse : l’aménagement d’un carrefour avec des feux tricolores n’est pas indolore pour les finances locales. Il coûte environ 30.000 euros par an en dépenses de fonctionnement et de maintenance. Deuxième réponse : Les ronds-points induisent une circulation douce, limitent les embouteillages et diminuent les temps d’attente. Christophe Damas, chercheur au CEREMA, rappelle qu’environ 10.000 accidents, provoquant 150 morts et 1.500 blessés, se produisent, chaque année, au niveau de carrefours à feux. “Les feux rouges annihilent notre capacité d’un comportement socialement responsable“ observe un autre expert : “Quand vous traitez les gens comme des idiots, ils deviennent des idiots“.

Pour conclure ce rapide exercice de réhabilitation, citons le penseur libéral Gaspard Koenig : “La route se fait ainsi l’illustration et la métaphore d’une conception libérale de la loi, destinée à créer de la responsabilité plutôt qu’à multiplier les contraintes. Au lieu de dicter les comportements individuels (tu passeras au vert), l’État doit permettre à chacun d’en mesurer les conséquences (tu passeras quand les conditions le permettront). Le rond-point, c’est le triomphe de la main visible“.

Louvre-Lens, Pompidou-Metz : pas de réussite sans écosystème local fertile

 

C’est un cas d’école pour tous ceux qui s’intéressent au développement local. Les initiateurs du Louvre-Lens s’étaient inspirés de la fondation Guggenheim de Bilbao pour reproduire dans l’ancien bassin minier du Pas-de-Calais la recette qui a fait le succès du musée basque espagnol. Hélas, le projet français est un échec, faute d’écosystème local porteur. Le Centre Pompidou à Metz résiste mieux car il est dans une dynamique de développement urbain.

La fréquentation du musée Louvre-Lens est en berne. Au moment de l’ouverture en 2012, l’objectif de fréquentation était de 500.000 visiteurs par an. La région Nord-Pas-de-Calais (aujourd’hui Hauts-de-France après fusion avec la Picardie) a investi plus de 100 millions d’euros pour ce musée et dépense 10 millions en fonctionnement par an sans compter les aides de la communauté d’agglo Lens-Liévin et du département. La fréquentation du musée a certes augmenté de 2,2 % en 2016 pour atteindre 444.600 visiteurs mais ils sont majoritairement gratuits à l’instigation des collectivités. 63 % du public vient de la région malgré la vaste zone de chalandise de la région transfrontalière. Ceux qui se sont rendus à Lens (et qui ont voulu y séjourner) comprendront aisément pourquoi le Louvre-Lens ne décolle pas. L’ancien bassin minier n’a pas la culture de développement économique de la ville basque. Une récente mission interministérielle déplorait la faiblesse de la gouvernance et l’absence de synergies entre acteurs économiques et publics. Les transports publics qui conduisent au musée sont très insuffisants, l’offre hôtelière minimum, le commerce local déprimé et l’environnement local peu valorisé. Il ne suffit pas de poser au milieu de nulle part un équipement culturel avec une marque de renom pour faire décoller le développement local. Il faut un projet de territoire et des acteurs locaux pour le porter.

Un autre exemple français est heureusement plus réussi. Le centre Pompidou à Metz est installé dans un nouveau quartier, cœur de ville, à côté de la gare, avec bientôt un palais des congrès et une programmation adaptée aux publics. Ajoutons que le geste architectural est plus fort à Metz et à Bilbao que la discrète architecture de verre de Lens qui n’envoie aucun signal.