La malédiction de la réforme des valeurs locatives

Tout avait bien commencé cette fois. On allait procéder par expérimentation à partir de cinq départements tests et en réformant uniquement les valeurs locatives pour les bâtiments commerciaux. Hélas, le rapport adressé il y a quelques jours au Parlement par la DGFiP (Direction générale des finances publiques) montre que le dossier est explosif. Les transferts de charges seraient très brutaux entre les contribuables et Bercy recommande de revoir les mécanismes d’application de la réforme qui doit pourtant entrer en application en 2014 partout en France. La révision des valeurs locatives cadastrales des locaux professionnels à partir desquelles sont calculés les impôts locaux, inchangées depuis près de 40 ans, est un impératif mais les transferts qu’elle implique vont provoquer la révolte des contribuables. Et pourtant, la base de calcul de la fiscalité locale est complètement fictive et constitue une injustice grave et un facteur d’iniquité à l’heure où les impôts locaux pèsent de plus en plus lourds, parfois plus lourd que l’impôt direct national.

La réforme doit être accomplie à produit constant pour les collectivités territoriales bénéficiaires. Mais quand on actualise les bases, certaines catégories de locaux enregistrent des hausses vertigineuses : pour les bureaux, c’est 67 % d’augmentation dans le Pas-de-Calais. Pour les centres médico sociaux et centres de soins, c’est 138 %  dans le Bas-Rhin et le Pas-de-Calais. Les futurs impôts locaux de boutiques et magasins de plusieurs départements tests augmentent, avec la révision, dans des proportions comprises entre 31 et 36%. 94 % des locaux professionnels verraient leur impôt augmenter. Inversement, l’industrie apparaît comme grande bénéficiaire de l’actualisation. Au final, il y a fort à parier  que les bénéficiaires resteront muets et qu’on entendra seulement les perdants de la réforme.

Les services de la DGFiP ont accompli un énorme travail dans les départements tests pour établir des grilles tarifaires prévoyant, pour chaque secteur, un tarif au m2 appliqué à 22 catégories de locaux. Techniquement, la réforme tient la route mais politiquement, elle est inapplicable en l’état. La commission des finances du Sénat s’est emparée du rapport et vient de charger deux sénateurs, Pierre Jarlier (UC, Cantal) et François Marc (PS, Ille-et-Vilaine) pour une mission de déminage. Bon courage à eux. La précédente tentative de réforme a déjà échoué. Je me rappelle avoir interviewé à l’automne 1993, un courageux ministre du Budget qui m’avait répondu : « la réforme des bases se fera dès cette année. » Il s’appelait Nicolas Sarkozy. La majorité parlementaire d’alors, échaudée par la réforme de la tax poll, l’impôt local qui avait causé quelque temps auparavant la chute de l’inaltérable Margaret Thatcher, avait prudemment refermé le dossier. Jean-Pierre Fourcade, alors président du Comité des finances locales, avait bien proposé une mise en œuvre progressive, 18 ans plus tard la réforme reste à faire. Certains spécialistes la jugent tellement irréalisable qu’ils proposent de remettre à plat toute la fiscalité locale et de la remplacer par une part de fiscalité nationale. Ce n’est pas forcément plus facile. L’adage selon lequel un bon impôt est un vieil impôt risque de prospérer encore longtemps, et tant pis s’il s’agit d’un impôt de plus en plus injuste.

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