La réforme devrait s’appliquer dès les élections locales de 2014. Dans son discours de Dijon, le 3 mars dernier, François Hollande a prévenu. « Un député et un sénateur ne représentent pas une circonscription, un département ou une région mais la nation toute entière, c’est pourquoi je ferai voter dès le début du prochain quinquennat la fin du cumul d’un mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale », a-t-il déclaré sous les applaudissements nourris d’élus locaux parlementaires cumulards prêts au sacrifice. En septembre dernier, au lendemain des élections sénatoriales, le candidat Hollande s’y était engagé : « Le fait que le Sénat soit passé à gauche nous permettra d’avoir cette réforme de la limitation des cumuls qui puisse être votée dans les deux assemblées « , avait-t-il dit. Cet engagement n’avait rien d’évident. En 2010, le groupe socialiste au Sénat, présidé alors par Jean-Pierre Bel, s’était opposé à l’application d’une règle souhaitée par Martine Aubry, première secrétaire du Parti socialiste prohibant le cumul des mandats. Pour le groupe PS, cette promesse aurait obéré les chances de la gauche de devenir majoritaire au Palais du Luxembourg. Le contexte est désormais différent puisque la règle s’appliquera à tous les parlementaires de tous groupes politiques.
Actuellement, 152 sénateurs sont maires, 35 sont présidents de conseil général et 4 président de région, sur un total de 348 membres du Sénat. Dans l’Assemblée nationale sortante, près de 40 % des députés avaient un mandat exécutif local. Tous les présidents d’associations d’élus locaux sont des parlementaires nationaux. À ce titre, ils sont à l’origine de propositions de loi et d’amendements concernant les collectivités territoriales et leur gestion. Les lois votées depuis près de trente ont limité progressivement les cumuls de mandat. Mesurons le chemin parcouru : en 1985, Jean Lecanuet était à la fois maire de Rouen, député européen, sénateur, président du conseil général de Seine-Maritime et conseiller régional. Aujourd’hui le couplage entre un mandat de parlementaire et un mandat exécutif local (et une fonction pour les présidents d’intercommunalité) reste courant, il est même jugé vertueux par certains commentateurs et surtout par les cumulards eux-mêmes. Sans son mandat local, le parlementaire deviendrait un être hors sol, privé de racines et capables de tous les excès puisqu’il voterait des lois qu’il n’aurait pas à appliquer comme élu local. Cet argument est de moins en moins défendable. Les parlementaires élus locaux n’ont pas empêché les dérives normatives pour leurs collectivités. La solidarité politique et la discipline de vote au sein des groupes parlementaires liés à la majorité de gouvernement l’emportent toujours sur l’intérêt des collectivités locales.
Cette réforme va assurément avoir d’importantes conséquences sur la sociologie des élus français. Elle marquera la fin des grands barons de province régnant sur leur fief la moitié de la semaine et le reste du temps à Paris. On verra après la réforme apparaître une nouvelle génération d’élus locaux, davantage administrateurs que tribuns nationaux. C’est déjà le cas dans beaucoup de pays d’Europe du Nord qui interdisent le cumul. Mais en Allemagne, la deuxième chambre du Parlement, le Bundesrat représente expressément les Länder. Le Sénat français pourra-t-il après la fin du cumul se prévaloir de son qualificatif de « Grand Conseil des Communes de France » que lui avait attribué Léon Gambetta et qui correspond à sa fonction de représentation des territoires? Les élus locaux, grands électeurs des sénateurs, pourront-ils continuer à élire un d’entre eux s’il doit renoncer à son mandat local pour les représenter. Au nom de cet impératif de représentation des territoires, certains ne manqueront pas de plaider pour le maintien du couplage entre mandats local et national qui serait alors réservé aux seuls sénateurs.
Ces partisans du cumul parviendront-ils à empêcher François Hollande de tenir sa promesse ? Non, si les élections législatives de juin prochain donne au Président une majorité parlementaire. Mais pour aller au bout de cette réforme, le nouveau chef de l’État devra consolider le statut des élus et prévoir des conditions d’indemnisation plus protectrices après une élection perdue. Beaucoup d’élus continuent à cumuler les mandats pour sécuriser leurs parcours et éviter de se retrouver sans rien après une élection perdue.
C’est bien de montrer que la règle du non cumul implique une évolution de la représentation des territoires.
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