En fin de semaine dernière avaient lieu concomitamment les états généraux de la démocratie territoriale organisés à la Sorbonne à l’initiative du président du Sénat et la convention de l’intercommunalité de l’AdCF (Assemblée des communautés de France) à Biarritz. À la Sorbonne, le président de la République a prononcé un discours fondateur de 50 minutes dont je recommande la lecture pour bien comprendre le projet de François Hollande : approfondissement de la décentralisation « jusqu’au bout des compétences » pour chaque échelon de collectivité plutôt qu’une rupture, le fameux acte III. « La décentralisation permet à l’Etat de se réformer, aux territoires de se mobiliser et aux citoyens de s’impliquer », a résumé le président de la République avant de livrer sa méthode qui débouchera sur un projet de loi présenté début 2013. Il s’agit d’aller jusqu’au bout des blocs de compétences en transférant complètement aux régions la formation, l’orientation, les politiques de l’emploi, le soutien aux PME et les fonds structurels européens ; aux départements l’ensemble de la politique du handicap et de la dépendance lors assurance maladie. Le chef de l’Etat évoque aussi « un partage avec le bloc communal de la transition énergétique ».
Pacte de gouvernance territorial passé à l’échelon régional entre les niveaux de collectivité
François Hollande veut étendre le principe de chef de file à l’ensemble des compétences (transports, logement, jeunesse), la loi fixera la règle mais on pourra laisser les acteurs locaux s’organiser grâce au pacte de gouvernance territorial passé à l’échelon régional entre les niveaux de collectivité, « À chaque grande politique correspondrait une seule autorité qui fixerait les modalités et l’action qui peut être déléguée à d’autres collectivités ». Le président porte aussi une attention particulière aux grandes villes : « le fait métropolitain figurera dans le projet de loi, le temps est venu de donner aux métropoles un nouveau statut ». Le président a par ailleurs confirmé le report des élections régionales et cantonales, de 2014 à 2015, l’évolution du mode de scrutin cantonal « en intégrant l’ancrage territorial et la parité », la fin du cumul des mandats nationaux et locaux, et la consolidation du statut de l’élu. Il a aussi évoqué la création d’un droit de pétition et d’interpellation « pour renforcer le lien civique ».
Mais à l’issue de ce discours, il n’y eut pas vraiment de débat. À l’inverse des Etats généraux de 1789, le point d’arrivée de la version 2012 a été la présentation de fastidieux cahiers de doléance des élus locaux métropolitains et ultramarins. Quelques intervenants on bien essayé de porter une vision stratégique mais elle se perdait dans ce catalogue du « toujours plus ». À la Sorbonne, on a évoqué la confiance nécessaire entre l’Etat et les collectivités. Elle est certes indispensable, mais pour un citoyen étranger au sérail politico-territorial, la seule confiance qui vaille est celle entre les électeurs-citoyens-contribuables-usagers et les pouvoirs publics, Etat et pouvoirs locaux confondus. Il n’est pas sûr que ces débats centrés sur le statut de l’élu, et les demandes de moyens supplémentaire aient été de nature à affermir la confiance des citoyens.
La veille du rendez-vous de la Sorbonne, dans le cadre de la Convention de l’intercommunalité organisée par l’AdCF à Biarritz, a eu lieu un passionnant débat sur la décentralisation, « mère de toutes les réformes », selon Alain Rousset, président de l’Association des régions de France (ARF). Sur la ligne du président de la République, il indique que « la Région ne souhaite pas élargir ses compétences mais aller au bout de ses compétences » en matière économique, en structurant un réseau d’entreprises de taille intermédiaire, référence au modèle allemand de régions fortes qui accompagnent un réseau dense de grosses PME. « Il faut apprendre à se passer de l’administration déconcentrée de l’Etat », plaide Alain Rousset, qui dénonce un syndrome de Tanguy chez les élus locaux par rapport à l’Etat, du nom de ce personnage de film, adolescent qui refuse de quitter le domicile parental. Les collectivités sont donc appelées à s’organiser entre elles, à établir des schémas prescriptifs sur les grandes politiques publiques, et à se mettre d’accord dans le cadre de pacte de gouvernance territoriaux. Avec quelle méthode? « Cela ne se fera pas en créant un jacobinisme régional, les schémas se feront en partenariat, dans une organisation avec un axe de régionalisation à mettre en place avec les autre niveaux de collectivités territoriales. » Le président de l’Association des maires de France, Jacques Pélissard, a été encore plus précis : « Oui aux schémas prescriptifs dès lors qu’ils se feront dans la co-production » et de citer la liste des « co-producteurs » qu’il souhaite voir autour de la table « dans le cadre d’une conférence territoriale » associant la région, les départements, les agglomérations et les maires des zones rurales représentés par les présidents des associations départementales de maires. Ces schémas font plutôt consensus. Comme le résume le député du Maine-et-Loire, Michel Piron, président délégué de l’AdCF, » il faut arrêter de diluer les responsabilités, c’est une entre-deux coûteux et cela conduit à l’enlisement. »
Pas de schéma prescriptifs sans autoriser la tutelle d’une collectivité sur l’autre
Pour les pactes territoriaux, le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone présent à Biarritz, se prononce pour des adaptations locales de la loi. Le président de la communauté urbaine de Bordeaux, Vincent Feltesse, lui a fait écho en appelant à « sortir du jardin à la française ». Mais le professeur de droit public, Géraldine Chavrier a refroidi les élans décentralisateurs des intervenants ou plutôt elle les a appelés à davantage d’audace pour qu’on « passe d’une décentralisation de gestion à une décentralisation de décision ». L’universitaire explique que les schémas prescriptifs ne sont pas compatibles avec l’article 72 de la Constitution qui prévoit qu’ « aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ».
Pour permettre aux collectivités d’appliquer les lois et décrets de façon différenciée, il y a aujourd’hui le pouvoir d’expérimentation, mais les seules expérimentations réglementaires aujourd’hui permises précédent une généralisation. Il faut donc confier aux collectivités un pouvoir d’application des lois pour l’exercice de leurs compétences. Cela peut se faire sans atteinte à l’unité de l’Etat car la loi reste unique, sans atteinte à l’égalité car la loi fixe le cadre qui harmonise, mais attention, prévient Géraldine Chavrier, « il faudra faire attention à ce que le législateur n’aille pas trop loin dans les détails pour récupérer sa marge de manœuvre. » Par ailleurs, une collectivité peut intervenir sur l’application de la loi uniquement pour ses propres compétences. Pour qu’il en soit autrement, il faudrait une révision de la Constitution pour se libérer de l’interdiction de tutelle imposée par l’article 72. De même, les adaptations ne sont pas possibles pour tous types de lois, notamment celles qui touchent aux libertés publiques. Ainsi la loi sur le handicap qui peut paraître technique est adossée au préambule de la Constitution en créant des droits pour des citoyens ; les collectivités ne peuvent donc pas intervenir pour y apporter des adaptations. Géraldine Chavrier montre aussi que la notion de chef de file ne concerne que l’organisation des modalités d’action commune, pas le pouvoir de décision. Là encore une révision de la Constitution serait nécessaire. Ce vrai débat ne fait que commencer.
Ayant participé au débat, je soutiens à 100% cette initiative
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