Accueil de la petite enfance : nouvelles demandes, nouveaux acteurs

La France compte 2,4 millions d’enfants de moins de trois ans, mais seulement 10% bénéficient d’une place en accueil collectif, mode de garde le plus apprécié des parents. À l’issue d’une vaste consultation citoyenne menée pendant trois mois, qui a permis de recueillir les attentes des parents, des acteurs locaux et nationaux dans plusieurs régions, Dominique Bertinotti, ministre déléguée, chargée de la Famille, a présenté ses orientations concernant l’accueil de la petite enfance et le soutien à la parentalité, samedi dernier à la Cité des sciences et de l’industrie de Paris. Selon la ministre, l’offre de places d’accueil pour les jeunes enfants est insuffisante puisqu’il y avait, en 2010, 50 places de garde pour 100 enfants de moins de trois ans avec d’importantes disparités territoriales (le taux de couverture est de 80,2 % Haute-Loire, 60 % dans les Hauts-de-Seine, mais de 28,9 % en Seine-Saint-Denis ou 27,7 % en Haute-Corse). Parallèlement, les besoins des parents évoluent : comment concilier vie familiale et vie professionnelle avec des temps partiels, le travail de nuit ou les horaires décalés.

Au cours des dernières années, l’offre d’accueil pour la petite enfance a pourtant connu un développement à marche forcée avec la création de 20.000 places de crèches par an. Le gouvernement Fillon avait fixé pour objectif la création de 200.000 solutions de garde individuelles et collectives supplémentaires en quatre ans, sur la période 2009-2012 dans le cadre d’une convention d’objectifs et de gestion avec la CNAF (Caisse nationale l’allocations familiales). Concernant l’accueil collectif, environ 60.000 places nouvelles ont été créées en trois ans entre 2009 et 2011. En octobre dernier, la ministre Dominique Bertinotti a décidé d’abroger le décret de l’ancienne ministre Nadine Morano pour remettre à plat la politique d’accueil de la petite enfance et prendre de nouvelles orientations dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion avec la CNAF pour la période 2013-2016. Elle veut cibler prioritairement les territoires insuffisamment équipés et les familles les plus pauvres dans le cadre du grand plan de lutte contre la pauvreté.

De la consultation citoyenne qui vient de s’achever, il ressort des priorités concernant les modes d’accueil : mise en pratique d’un principe d’égalité sur le territoire (tarification, accessibilité, critères, etc.) ; possibilités de choix du mode d’accueil ;  accès à des modes d’accueil souples, mieux adaptés aux besoins géographiques et financiers et à l’amplitude des horaires de travail ; épanouissement intellectuel, moteur, affectif, pour tous les enfants, y compris les enfants en situation de handicap. La consultation a aussi fait apparaître de nouvelles demandes : possibilités de conciliation entre vie professionnelle et vie de parent (développement du télétravail, uniformisation du droit à absence pour enfant malade, aménagement des horaires de travail, allongement du congé maternité – paternité) ; accompagnement dans l’exercice de la parentalité. Quelques communes et leurs centres communaux d’action sociale (CCAS) ont déjà créé des écoles des parents  pour aider des jeunes en manque de repères et sans solidarité familiale pour faire face à leurs responsabilités.

Le ministère des affaires sociales observe que le système français se caractérise par la très grande diversité des intervenants dans la régulation de l’offre, ce qui peut nuire à la cohérence globale. Les communes sont le plus souvent à l’initiative de projets d’établissement d’accueil, dont le financement est largement soutenu par la branche Famille de la sécurité sociale. Les conseils généraux procèdent à l’agrément des structures ainsi que des assistant-e-s maternel-le-s. Leur solvabilisation est assurée par la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE versée par les CAF, qui accordent par ailleurs les primes d’installation destinées à harmoniser l’offre sur le territoire). Enfin, la politique de scolarisation de l’Education nationale a un impact significatif sur l’offre d’accueil des enfants de moins de 3 ans sur un territoire donné. Les entreprises qui créent au sein de leurs établissements leurs propres crèches constituent aussi un acteur majeur de ces politiques de la petite enfance.

Près d’une création de crèche sur deux désormais assurée par le secteur privé lucratif

Pour répondre à la demande des parents, des villes et des employeurs, des entreprises privées se constituent en groupes intégrés, et dynamisent fortement le secteur. Connaissez-vous Babilou, La Maison bleue ou Les Petits Chaperons Rouges ? Babilou, groupe leader sur le marché des crèches, annonce 700 clients (600 entreprises et 100 mairies en délégation de service public). En 2013, Babilou prévoit d’ouvrir à nouveau 20 nouvelles crèches. Ces crèches sont conventionnées par les caisses d’allocations familiales, ce qui permet aux familles d’être accueillies selon les mêmes conditions tarifaires que dans une crèche municipale. Un de ses challengers, La Maison Bleue investit cette année 30 millions d’euros dans l’ouverture de 30 nouvelles crèches soit 1.200 nouveaux berceaux. La Maison bleue gérera 100 crèches dans toute la France et 4.000 berceaux à la fin 2013. Lisez le discours argumentaire de cette entreprise  auprès des mairies : « La Maison bleue offre des solutions aux villes confrontées à diverses problématiques et ralenties dans la mise en place de solution d’accueil. La Maison Bleue met à leur disposition des locaux aménagés en un temps record (9 mois en moyenne), en leur permettant de ne financer que la réservation de berceaux. La gestion des crèches est ensuite assurée par la Maison Bleue, en lien avec la ville, sur tous les aspects : financiers, opérationnels ou ressources humaines… La rapidité et la souplesse de mise en œuvre de nouvelles crèches permettent de répondre à l’urgence des listes d’attente des collectivités en assurant à celles-ci la maitrise de leur budget fixé à l’année. » Autre acteur important : Les Petits Chaperons Rouges, entreprise pionnière de la création de crèches interentreprises,  accueille 5.000 enfants pour le compte de plus de 500 clients.

Une étude du cabinet Eurostaf publiée en mai 2012 confirme la percée des entreprises privées dans le secteur de l’accueil de la petite enfance. Elle montre qu’aujourd’hui près d’une création de crèche sur deux est le fait du secteur privé lucratif. « Les cinq premiers acteurs du secteur privé lucratif sont devenus, en quelques années, des puissances financières, dont les facteurs clés de succès sont la rigueur gestionnaire, des projets pédagogiques solides et une optimisation du remplissage des structures », indique l’étude. Eurostaf prévoit que le secteur est « à l’aube de bouleversements majeurs », notamment d’ordre financier, avec aussi des développements moins capitalistiques offrant une différenciation de l’offre (projets pédagogiques, constructions HQE, développement durable). Une filière économique et professionnelle se structure avec de employeurs qui souhaitent fidéliser leurs salariés (formation, mobilité, carrières). Selon la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC) qui regroupent ces acteurs privés, avec 700 crèches sous gestion, les entreprises de crèches prévoient de gérer, d’ici fin 2013, 30.000 places et d’employer 10.000 professionnels de la petite enfance.

La France dépense plus de 4,7 % de son PIB pour sa politique familiale, soit près de cinq milliards d’euros. C’est deux fois plus que nos voisins européens. En installant il y a quinze jours le nouveau Haut conseil de la famille (HCF), le Premier ministre lui a demandé des propositions pour un retour à l’équilibre de la branche famille de la sécurité sociale à l’équilibre en 2016. Les propositions et avis du HCF sont attendus pour la fin du mois de mars 2013. Le HCF vient de faire des propositions contre les disparités d’accès selon les territoires en matière d’accueil des jeunes enfants. Il n’a pas obtenu de consensus de ses membres sur la création d’une obligation de couverture minimale en accueil collectif à assurer par les communes et leurs groupements. Ont aussi été rejetés la création d’agences régionale de l’enfance et de la famille ou la création d’un droit opposable. En revanche, le HCF s’est prononcé pour  la reprise de la préscolarisation des enfants de moins de trois ans sous certaines conditions. Le débat ne fait que commencer et pourrait concerner bientôt une complète réorganisation de l’accueil des enfants avant l’école primaire avec un rapprochement entre écoles maternelles, jardins d’enfants et crèches.

Illustration : Crèche municipale à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). La ville compte 3.000 enfants de moins de 3 ans et propose 8 crèches collectives (3 municipales, 4 départementales et 1 interentreprises « Babilou », une crèche parentale) ainsi qu’un accueil individuel par les assistantes maternelles et des ateliers d’éveil en présence des parents pour les enfants gardés à la maison.

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