On pourrait paraphraser la célèbre formule de Michel Rocard, « la France ne peut accueillir toute la misère du monde mais elle doit savoir en prendre sa part », pour évoquer l’imbroglio de la prise en charge des mineurs isolés étrangers par les départements. Cet été, Jean Arthuis, président du conseil général de Mayenne, a jeté un pavé dans la mare en signant un arrêté mettant fin à tout nouvel accueil de jeunes mineurs étrangers isolés par le service de l’aide sociale à l’enfance de son département qui se trouvait débordé par l’afflux de mineurs étrangers. Aussitôt, les ministres de la Justice, Christiane Taubira, et de l’Intérieur, Manuel Valls, avaient qualifié d' »illégale » la décision du président du conseil général de Mayenne. L’élu local a été depuis reçu au ministère de la justice mais le feuilleton n’est pas terminé. « Nous avons 57 jeunes mineurs étrangers en Mayenne avec une augmentation extrêmement sensible ces derniers temps et nous sommes en présence de filières d’immigration clandestine », estime Jean Arthuis. En juin dernier, son collègue du Maine-et-Loire, Christophe Béchu, avait refusé d’accueillir de nouveaux mineurs étrangers isolés, faute de place dans les structures d’hébergement spécialisées du département.
Selon L’Assemblée des départements de France (ADF) et le ministère de la Justice, on recense en France entre 7.500 et 8.000 mineurs étrangers isolés. La plupart sont de très « grands adolescents ». Selon l’association France Terre d’asile, la prise en charge d’un mineur étranger isolé s’élève environ à 55.000 euros par an. Depuis la circulaire de la Garde des Sceaux du 31 mai dernier, un nouveau dispositif national d’accueil a été décidé pour répartir les placements dans un plus grand nombre de départements et éviter l’engorgement de certains départements d’immigration comme la Seine-Saint-Denis qui en accueille 700. Actuellement, dans le département du Nord, 500 mineurs étrangers sont pris en charge dans l’aide sociale à l’enfance, m’explique Patrick Kanner, président du conseil général, soit une dépense de 22 millions d’euros par an. Dans ce département, sur 5.000 placements de mineurs, 10 % des places des centres d’accueil sont occupées par des mineurs étrangers isolés. « C’est toujours un coût supérieur car il y a des problèmes spécifiques comme l’apprentissage de la langue, nous travaillons avec des associations spécialisées », indique Patrick Kanner qui ajoute : « Nous souhaitons mettre en œuvre des politiques dignes, mais la massification de la demande montre l’inadaptation des dispositifs « . Le coût moyen d’un accueil en centre spécialisé est de 180 euros par jour. Dans le Nord, la durée moyenne de placement est de cinq ans. Dans les Côtes d’Armor, département présidé par Claudy Lebreton, président de l’ADF, on accueille 102 mineurs étrangers isolés, contre 21 il y a trois ans. Plus de la moitié, 55 mineurs, viennent de la RDC (République démocratique du Congo, ex-Zaïre), « cela montre bien qu’il y a des filières mais cela, on le savait », reconnaît Claudy Lebreton.
Pour le président de l’ADF, le problème n’est pas nouveau : « L’ADF a tenté de négocier pendant des années avec le gouvernement précédent, notamment quand notre ancien collègue Michel Mercier était Garde des Sceaux mais la discussion a avorté. Nous avons repris la discussion avec Christiane Taubira, un groupe de travail est animé par Jean-Louis Touraine, président du conseil général d’Ile-et-Vilaine, troisième département en France le plus impacté après Paris et la Seine-Saint-Denis, avec près de 700 mineurs étrangers. » Aujourd’hui, l’ADF a obtenu un protocole d’accord et il y a un comité de suivi animé par la directrice de la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse).
« Nous avons un devoir d’hospitalité », estime Claudy Lebreton en rappelant le poids de l’histoire, « mais il faut se poser la question : s’agit-il d’une problème d’immigration ou d’enfance en danger ? Celui qui est âgé de 18 ans et un mois est traité par les filières administratives de l’immigration, celui qui a 17 ans et 6 mois est pris en charge par les départements. Il y a une question de compétence et de responsabilité, et bien sûr de moyens financiers. Nous demandons une vraie clarification. » Cette clarification nécessaire se pose aussi sur l’âge des demandeurs de l’aide sociale. Claudy Lebreton raconte que, souvent les jeunes ont des faux papiers fournis par les filières d’immigration. Cela produit des situations ubuesques : « Dans mon département, on pratique des tests osseux pour vérifier l’âge des jeunes, ces tests tolèrent une marge d’erreur de 18 mois. Tout cela est soumis au procureur de la République et des jeunes dont les tests ont révélés un âge supérieur à 22 ans ont été transférés à l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) mais l’OFPRA si fie aux papiers d’identité pour dire que ces jeunes relèvent de l’enfance en danger et nous renvoie la patate chaude ».
Quelle solution ? L’ADF souhaite le mise en œuvre d’un fonds national pour financer la prise en charge de ces enfants. Bien malgré eux, les conseils généraux se retrouvent associés à la politique d’immigration avec l’accueil de ces jeunes. « Pour ceux qui sont en règle, on les prend en charge et la plupart d’entre eux ne posent pas de problème », nous dit Claudy Lebreton, « ils apprennent le Français et dans le département des Côtes d’Armor, 32 d’entre eux ont passé récemment avec succès des examens professionnels, du C.A.P. au bac professionnel’. Et d’ajouter : « Nous faisons notre job avec humanité ».
Illustration : manifestation à Angers, en juin dernier, contre la décision du président du conseil général.