Dans le long feuilleton à rebondissements de la réforme territoriale, les agents territoriaux auraient besoin d’un GPS. C’est le constat du sociologue Jérôme Grolleau, auteur de plusieurs études remarquées sur les fonctionnaires territoriaux. On s’interroge aujourd’hui sur le sens de cette réforme. Le débat avait commencé sur le thème des économies d’échelle. Après l’annonce par le président de la République de la division par deux du nombre de régions et de la disparition programmée pour 2020 des conseils généraux, le secrétaire d’État à la réforme administrative avait chiffré les économies attendues à 10 milliards. C’était en juin dernier, une éternité, car depuis les experts ont relativisé les réductions de coûts espérées et surtout, les projets ont beaucoup évolué en six mois.
Le projet de loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République) qui viendra en première lecture en décembre au Sénat prévoit le transfert des départements aux régions de la gestion des routes, des ports relevant des départements, des transports interurbains, des transports scolaires et des collèges. Les agents départementaux concernés devraient changé d’employeurs au 1er janvier 2017 pour les routes et 1er septembre 2017 pour les collèges et les transports scolaires. Ce même projet de loi prévoit une révision de la carte intercommunale avec un rehaussement du seuil de population à 20.000 habitants minimum. Les regroupements actuels et les schémas de mutualisation des services communes-intercommunalités déjà engagés seront à refaire. Cette instabilité ne manque pas d’inquiéter les fonctionnaires territoriaux. Pour les agents des départements appelés à changer d’employeur et d’organisation, le ministère de la Décentralisation et de la fonction publique a certes édité une brochure sur les conséquences des transferts pour les agents : même rémunération, y compris les primes et protection sociale complémentaire, conservation du statut, ancienneté, droits à avancement, pour les fonctionnaires territoriaux, contrats de travail maintenus à l’identique pour toute sa durée, et conservation des droits acquis pour les agents contractuels. Mais cela ne dissipe pas les inquiétudes sur les réorganisations à venir.
Lors d’un débat opportunément organisé sur le volet RH de la réforme territoriale, pendant le congrès annuel du CNAS, cette semaine, le président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, Philippe Laurent a fait remarquer que cette instance paritaire avait été saisie seulement de l’avant-projet de loi Lebranchu de 2013 qui regroupait alors en un seul texte tous les projets de réforme. Plus rien depuis. Pour la loi RCT (Réforme des collectivités territoriales) de 2010 qui généralisait l’intercommunalité, le Conseil supérieur n’avait même pas été saisi.
La réforme territoriale intervient dans un contexte financier peu favorable à la séreinité. Dans le débat public, les dépenses de fonctionnement, et donc les dépenses de personnel des collectivités territoriales, sont régulièrement en accusation. La Cour des comptes a rendu public le 14 octobre un nouveau rapport qui stigmatise l’augmentation des dépenses de fonctionnement en 2013 et la croissance de la masse salariale (3,2 %), identique à celle de 2012. D’un montant de 56,6 milliards d’euros, la masse salariale représente 35 % des dépenses de fonctionnement, dont elle constitue le premier poste. Les magistrats financiers observent que l’évolution tendancielle découle notamment de la hausse des effectifs (1,6 % en 2011 et 1,7 % en 2012), de celle des rémunérations indiciaires, sous l’effet des avancements d’échelon et de grade, et des régimes indemnitaires. Elle résulte aussi de décisions qui échappent aux collectivités locales, telles que l’augmentation des cotisations à la caisse nationale de retraite des collectivités territoriales (CNRACL) et la revalorisation du SMIC qui a un effet sur la rémunération des agents de catégorie C.
À cotés des fonctionnaires territoriaux, les agents des services déconcentrés de l’État sont eux aussi concernés au premier chef par la réforme territoriale, peut-être même davantage, car le passage de 22 à 13 régions dans l’Hexagone signifie à due proportion la division du nombre de préfectures de région et de toutes les directions régionales qui y sont rattachées. Dans les futures régions XXL, comment fonctionneront ces services déconcentrés ? Comment adapter, et même réinventer le service public, État et collectivités territoriales, dans ce nouveau paysage institutionnel ? La question reste entière. Les réponses à y apporter concernent bien sûr tous les citoyens mais on ne pourra pas les élaborer sans les agents publics eux-mêmes.