Le gouvernement est-il conscient de la colère qui enfle dans les territoires ruraux et de l’inquiétude croissante des élus de ces territoires ? J’animai hier Le Direct de l’AMF, WebTV interactive réalisée avec IDEAL Connaissances. L’émission était consacrée à l’avenir des communes et territoires ruraux et j’ai clairement perçu un basculement de l’opinion des élus sur les réformes en cours. Dans leurs messages sur Internet, les maires ont manifesté une grande inquiétude, beaucoup ayant le sentiment que la disparition des communes rurales est désormais programmée. La baisse des dotations de l’État et la révision des schémas départementaux de coopération intercommunale, avec le relèvement des seuils démographiques attisent les peurs et la colère. Certes, des aménagements techniques sont prévus pour l’interco avec une prise en compte d’un coefficient de densité de population comme dans d’autres domaines. Aujourd’hui, députés et sénateurs, réunis en commission mixte paritaire, sont parvenus à un accord : le seuil est fixé à 15.000 habitants. Le marathon de la réforme territoriale s’achève après trois ans de débats, de production législative continue et d’annonces parfois contradictoires qui ont fini par décourager les élus locaux.
Les maires dressent l’inventaire des mesures qui complexifient sans cesse la gestion locale (transferts Gemapi, instruction des permis de construire avec Alur, aménagement des rythmes scolaires…). On leur avait annoncé la disparition des départements pour les rétablir ensuite mais avec des compétences limitées dans le soutien aux territoires. Maintenant, les maires et élus intercommunaux constatent aussi les premiers effets de la baisse des dotations qui obère leur capacité d’investissement. Au delà des nouvelles lois, ils voient au quotidien les moyens humains de leurs interlocuteurs des services déconcentrés de l’État se réduire inexorablement et déplorent des fermetures de services publics prises sans concertation, malgré les promesses.
Pour autant, les élus des territoires ruraux ne sont pas résignés. Jean-Louis Puissegur, président de la commission Communes et territoires ruraux de l’AMF, maire de la petite commune de Pointis-Inard, 854 habitants en Haute-Garonne, fait remarquer que les élus ruraux font vivre la démocratie locale au quotidien, qu’ils constituent un immense réseau de plus de 500.000 citoyens engagés dans l’animation de leur territoire, toujours moins chers pour les finances publiques que l’administration lointaine. Au moment où on parle tant des valeurs de la République et du “vivre ensemble“, attention à ne pas tuer un modèle de solidarité de proximité qui irrigue le territoire français.
Comment répondre au désarroi des maires ruraux ? Les associations d’élus locaux se mobilisent : manifestations multiples pour l’Association des maires ruraux, journée nationale d’action prévue le 19 septembre prochain à l’initiative de l’Association des maires de France. L’AMF veut surtout faire entendre la voix des territoires. Corine Hourcade-Hatte, membre de la commission Communes et territoires ruraux de l’AMF, maire de Bellac et présidente de la communauté de communes du Haut Limousin qui compte 18 communes, 12.700 habitants pour une densité de 23 habitants au km2, résume bien la problématique : “le plus important, c’est le projet que nous construisons sur notre territoire, c’est l’accès à Internet, aux services publics, aux transports dont ont besoin les habitants, c’est la confiance avec l’État pour mettre en œuvre nos politiques mais cette confiance se délite aujourd’hui.“
De la loi MAPTAM à la loi NOTRe, la réforme territoriale qui s’achève – enfin ! – a été essentiellement consacrée au meccano institutionnel, avec un luxe de détails et de schémas prescriptifs. En 1982, l’acte 1 de la décentralisation de Pierre Mauroy et Gaston Defferre reposait sur la confiance faite aux élus locaux et sur une vision du développement local, dans l’esprit du Rapport “vivre ensemble“ d’Olivier Guichard. On est loin aujourd’hui du souffle fondateur. Pour répondre au désarroi des maires, il faut à nouveau écrire un projet commun et construire une vision partagée pour l’avenir des territoires ruraux, comme urbains, qui façonnent la géographie de la France et sa longue histoire.