Chroniques par temps de crise sanitaire

Pour que les vieux ne soient pas privés de droit de cité

(Chronique parue dans Confinews le 26 mai 2020)

Une société doit être jugée au respect qu’elle porte à ses aînés et aux soins qu’elle leur prodigue. Hier, au cœur de la crise sanitaire, les gestes magnifiques de quelques équipes professionnelles d’EHPAD qui ont choisi de vivre confinées avec leurs résidents ont peut-être sauvé l’honneur, mais ils ne feront pas oublier les drames vécus à cause du désintérêt des administrations sanitaires obnubilées par l’organisation des hôpitaux. Aujourd’hui, on nous annonce un deuxième tour d’élections municipales dès le mois de juin empêchant, de fait, les électeurs les plus âgés à qui on recommande de rester confinés, d’exercer leur devoir électoral. Là encore, les vieux sont traités comme des citoyens de seconde zone. Ce ne sont là que les plus récents symptômes d’une crise de civilisation qui vient de loin et risque de prendre des proportions inquiétantes dans une société française qui vieillit rapidement. Plus que jamais, il faut refonder une politique des âges de la vie qui ne laisse personne à l’écart et construire une société vraiment inclusive, mot qui n’aurait plus aucun sens si nos anciens restent exclus. Cette refondation se fera à partir des politiques territoriales, au plus près de nos concitoyens.

Il y a urgence, car le basculement de la société française est proche. En 2030, les Français de plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans. En 2035, les personnes ayant 60 ans ou plus devraient représenter 31 % de la population française et celles âgées de plus de 75 ans, 13,6 % (contre respectivement 21 % et 8,5 % en 2007). Le nombre de personnes âgées dépendantes augmentera d’un tiers. Les octogénaires et nonagénaires n’attendent pas seulement qu’on remplisse leurs piluliers ou qu’on les relègue dans des EHPAD, mais que l’on prenne soin d’eux. Prendre soin, c’est justement la belle nuance que permet la langue anglaise entre le “cure“ et le “care“, entre soigner et prendre soin. Et cela passe par des politiques menées à l’échelon local, au coin de la rue : comment favoriser le maintien à domicile ? Comment adapter l’espace public aux personnes âgées ? Comment lutter contre l’isolement ? Les élus locaux sont en première ligne face à la crise de la démographie médicale et à l’émergence de nouveaux besoins. Ils essaient de trouver des solutions. Plus que jamais dans une approche territoriale, il faut passer d’une logique de soins à une logique de santé publique et appréhender la santé non plus seulement à partir du soin ou de la mesure des maladies, mais de façon plus globale, en intégrant l’environnement dans son entier. Malheureusement en France, les questions de santé restent trop souvent abordées sous l’angle de l’accès aux soins et pas assez par la prévention.

L’OMS a lancé en 2010 le réseau “Villes-amies des aînés”. En France, une dizaine de villes de tailles diverses (Angers, Besançon, Dijon, Lille, Limonest, Lyon, Rennes, Nice, Quimper…) ont été les premières à se faire certifier membres du réseau. Pour cela, elles ont réalisé un audit urbain qui répertorie les points à améliorer pour mieux répondre aux besoins des personnes âgées. Aujourd’hui, ce réseau de l’OMS rassemble plus d’une centaine de villes, réparties dans dix-huit pays. En Europe, au Japon ou en Amérique du Nord, des initiatives sont prises pour l’inclusion sociale des aînés et l’aménagement de l’espace urbain. Les responsables territoriaux français devraient systématiquement intégrer cette dimension dans leurs projets.

Nos anciens doivent pouvoir continuer à vivre dans les centres-villes, avec des logements adaptés, un urbanisme bienveillant (voirie, mobilier urbain, accessibilité, accueil des commerces et services). Dans le péri-urbains qui a été conçu il y a cinquante ans pour des jeunes ménages, il faut repenser la mobilité́ en associant les personnes âgées à la recherche de solutions adaptées et renforcer les liens sociaux permettant de lutter contre l’isolement. À la campagne, les solidarités intergénérationnelles sont encore fortes, mais le maintien à domicile nécessite des structures d’accompagnement pour lesquelles on peine à recruter.

Une étude de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (UNCCAS) montre que la précarisation des personnes âgées qui s’adressent aux CCAS s’accentue. Plus de 60 % des CCAS voient augmenter les demandes d’aides de personnes âgées isolées et/ou disposant de moins de 1.100 euros par mois. Un cinquième des CCAS évoque en outre l’augmentation des troubles psychiatriques et des situations de handicap parmi les personnes âgées. La psychothérapeute Marie de Hennezel, spécialiste du grand âge observe que « les pays dans lesquels le taux de suicide des âgés est le plus bas, l’Irlande, l’Angleterre, mais aussi les pays nordiques, ont une vraie politique de prise en charge des retraités et des personnes âgées. Dans ces pays, les « vieux » ont leur place. La solidarité entre générations existe. En France, il n’y a pas de politique sérieuse à l’égard du grand âge, la vision sociétale de la vieillesse est très négative ».

Le logement est au centre des réflexions, entre le maintien à domicile et les EHPAD devenus « les plus grands centres de soins palliatifs », selon le Dr Olivier de Ladoucette, psycho-gériatre à La Pitié Salpetrière, président de la Fondation pour la recherche sur Alzheimer. Dans les EHPADs, les personnes arrivent de plus en plus tard avant de mourir. Il faut imaginer d’autres formes d’hébergement et des parcours résidentiels mieux adaptés. Olivier de Ladoucette a développé un modèle psycho-social du vieillissement : pour vivre longtemps, il faut d’abord naître au bon endroit, éviter la maladie, faire bouger son corps, garder son cerveau en éveil en le stimulant, et rester relié aux autres par un engagement social, voire un travail spirituel personnel. On laissera ce dernier point dans la sphère privée, laïcité oblige, mais tous les autres éléments du bien vieillir ont toute leur place dans les politiques territoriales.

L’aménagement urbain doit être orienté pour permettre à la personne âgée d’être mobile et de participer à des activités sociales le plus longtemps possible. Cela concerne un accès facilité aux services de proximité, aux soins, des transports et des aménagements de voirie mieux conçus. Cela peut passer aussi par un recensement des zones favorables au vieillissement où les bailleurs pourront mener des opérations d’adaptation des logements et ne pas craindre la densification de l’habitat. Pour l’instant en France, il n’y a pas comme aux États-Unis de lobbies de vieux très puissants qui mettent au pas les pouvoirs publics. Mais si rien n’est fait, ce lobby s’organisera chez nous. Avant d’en arriver là, prenons simplement conscience que nous sommes tous concernés, c’est du moins ce que je vous souhaite : bien vieillir en ayant vraiment droit de cité.

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