Penser la ville biophilique, la ville du vivant

On parle du corps social, mais il faut aussi penser la ville comme un corps vivant où la nature a entièrement droit de cité. Bien sûr, tout le monde aujourd’hui parle de verdissement de l’espace urbain, pour faire face au dérèglement climatique ou pour embellir nos villes. Mais la nature n’est pas qu’un élément du décor ou un instrument de climatisation primaire. Il faut sortir de cette approche utilitariste pour comprendre que la nature est intrinsèquement liée à la vie du territoire et de ses habitants. Et quand j’écris la vie, je ne parle pas seulement de l’activité urbaine, mais bien du principe de vie, d’une politique du vivant. 

Le biologiste Edward O. Wilson, promoteur du concept de biodiversité, parle de “biophilie“. Penser la ville biophilique, c’est penser notre lien avec le monde naturel, une nécessaire connexion avec le vivant, végétal ou animal. C’est concevoir le développement du lien entre le territoire, sa biodiversité et ses habitants humains. Bref, une biologie urbaine. Ne parle-t-on de risques d’embolie quand la circulation se bloque dans les bouchons ? 

Nos villes, très minérales, évoluent mais trop lentement. Il est urgent de faire plus de place à la nature dans l’espace urbain : jardins, murs végétaux, arbres d’alignement, présence d’eau à écoulement libre. L’œil humain a besoin de nature. C’est une question de bien-être mais aussi de santé publique. Les habitants ont besoin de vivre et de respirer charnellement le temps cyclique de la nature et des saisons, pas seulement en fuyant la ville dès qu’apparaît un temps de vacances, pour retrouver une nature fantasmée qui leur faisait défaut. Ils ont aussi besoin de vivre au quotidien dans un espace urbain réconcilié avec les fondements de la vie, la terre nourricière. 

Le renouveau du maraîchage périurbain et l’invention de l’agriculture urbaine ne sont pas des éléments anecdotiques. C’est un tournant dans notre façon d’habiter la ville. Je me souviens encore du cri du cœur de Vicente Guallart, alors directeur de l’habitat urbain de Barcelone, déclarant à la tribune du Forum Innovative City : « Je vis dans une ville sous dialyse qui importe ses tomates du Chili et ses pommes d’Afrique du sud ». Nos villes seraient-elles de grandes malades ? En se réappropriant son circuit d’approvisionnement, la ville reprend en main son destin.

Pour reprendre le contrôle, une nouvelle génération d’ingénieurs des villes, d’élus et d’aménageurs, réécrive aussi à nouveau frais la planification urbaine pour y intégrer des trames vertes et bleues qui irriguent le territoire. Il est spectaculaire de voir se superposer dans la cartographie urbaine, ces nouvelles trames (parfois encore cachées comme dans le cas de cours d’eau enfouis), et le réseau des rues et des places que la seconde moitié du XXème siècle avait livrées à l’hégémonie de la voiture particulière. L’analogie biologique est saisissante, les veines et les artères doivent être débouchées, comme sur un grand corps malade.

La crise sanitaire nous a montré, si on l’avait oublié, que les hommes et leurs animaux domestiques n’étaient pas les seuls habitants des villes. Lors du premier confinement au printemps 2020, on entendait à nouveau les oiseaux et les images d’animaux à la conquête de l’espace urbain ont fait le tour des réseaux sociaux. À Lille et à Strasbourg, dans le cadre du programme Birds for change, des chercheurs expérimentent le recours à des oiseaux pour dépolluer l’espace urbain de plastiques, mégots, papiers, canettes… 

La ville biophilique est en marche et elle avance plus vite dans les villes moyennes que dans les métropoles où la pression foncière est maximale. Il y a quelque mois, j’animais un débat avec les élus du programme Action Cœur de ville où l’architecte, Dominique Perrault, le créateur de la Bibliothèque François Mitterrand elle-même dotée d’une petite forêt urbaine, présentait son « parking du futur » où des fermes souterraines, en hydroponie, remplaceront un jour prochain le rangement des voitures.  À Niort, un parc naturel urbain, créé à partir d’une friche industrielle, redessine la ville en l’ouvrant sur le parc naturel régional du Marais poitevin (notre photo).

Edward O. Wilson définit la biophilie « comme la tendance innée à se concentrer sur la vie et les processus biologiques ». La crise sanitaire nous a fait comprendre que nous avions besoin d’interaction avec la nature et de connexions émotionnelles au coin de la rue. Il est temps d’inventer cette nouvelle urbanité et de penser la ville du vivant.

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