
Fruit d’un long travail d’enquête que j’ai réalisé avec ma consœur et amie Laurence Denès l’étude « les métiers territoriaux du grand âge, des professionnels du lien en attente de stabilité » est parue et accessible en ligne. Cette étude a été réalisée pour l’Observatoire social territorial MNT en partenariat avec l’Union nationale des Centres communaux d’action sociale (Unccas).
Beaucoup de rapports et publications existent sur la grande vieillesse et la prise en charge de la dépendance, certaine révélant à juste titre des dysfonctionnements et des scandales. La particularité de notre étude est de donner pour la première fois la parole à des agents territoriaux, professionnels du grand âge, et notamment les aides à domicile, les aides-soignants (AS), les auxiliaires de vie sociale (AVS). Une population essentiellement féminine, au statut souvent précaire, qui constitue néanmoins l’essentiel des métiers du grand âge. Pour notre enquête nous avons réalisé une soixantaine entretiens auprès d’un échantillon significatif de professionnels issus de structures (CCAS, Ehpad, services à domicile…), de métiers (AVS, AS, infirmières, animatrices…) et enfin de territoires variés.
Ces différents entretiens ont essentiellement porté sur les pratiques et les difficultés rencontrées par ces personnels au quotidien qui, au-delà des contraintes de moyens et
d’organisation auxquels ils doivent faire face, expriment leurs motivations ainsi que leurs propositions pour mieux répondre aux défis du grand âge. Une série de rencontres avec des experts et des personnes-ressources (CNFPT, centres de gestion, conseils départementaux, organisations syndicales, Groupe VYV, etc.) a complété cette enquête.
Des métiers à « déprécariser“
Notre étude lance un certain nombre d’alertes : elle confirme par exemple le manque criant d’attractivité dont souffrent ces métiers. Ils sont à la fois, souvent peu rémunérés et très éprouvants physiquement et mentalement. Le secteur peine donc à embaucher et fidéliser des professionnels : près de la moitié des Ehpad font en effet état de difficultés de recrutement. Autre point relevé : le retard pris par notre pays sur la question du maintien à domicile et sur l’usage des nouvelles technologies au service du grand âge. Deux leviers, qui activés, pourraient répondre aux besoins d’un nombre croissant de nos concitoyens tout en améliorant les conditions de travail de nos agents. Fort de ces constats, nous formulons une série de recommandations visant à offrir une certaine stabilité à ces postes ainsi qu’une meilleure qualité de vie au travail aux agents. Comme donner la priorité, en premier lieu, à la « déprécarisation » de ces métiers.
La maltraitance n’est pas un phénomène marginal
Dans un contexte de forte tension (RH, ratio soignant/résident), nous avons constaté que la maltraitance n’est pas un phénomène marginal. Que celle-ci soit institutionnelle ou individuelle, elle continue de faire l’objet d’une loi du silence. Or la « bien-traitance » des personnes accompagnées passe par la « mieux-traitance » des professionnels du grand âge. Il est aujourd’hui crucial de renforcer la protection des lanceurs d’alerte qui dénoncent les cas de maltraitance et mieux faire connaître les procédures d’alerte.
Des solutions innovantes qui ont déjà fait leurs preuves à l’étranger
Nous croyons aussi à la force de l’innovation sociale. Il faut développer des solutions innovantes qui ont déjà fait leurs preuves à l’étranger, comme les villages Alzheimer ou les Buurtzorg néerlandais (soins de quartier en approche d’équipes responsables pluridisciplinaires), et les expérimentations, telles que l’« Ehpad hors les murs » ou les « CCAS centres de ressources ». Dépassant les cloisonnements domicile-hébergement, ces nouvelles formes d’organisation sont porteuses d’opportunités managériales et professionnelles.
Nous recommandons aussi d’expérimenter le métier de care manager japonais ou danois comme interface unique des familles pour piloter et organiser l’ensemble des services pour la personne dépendante, puis les adapter à sa perte progressive d’autonomie.
Enfin, l’approche territoriale nous apparaît plus que jamais nécessaire, à l’échelle du bassin de vie, dans la proximité des quartiers. Au-delà des professionnels de soins et de l’accompagnement, tous les acteurs du territoire sont concernés par les politiques inclusives à développer (urbanisme, promotion immobilière, aménagement de la ville, politiques culturelles, etc.) et intergénérationnelles (équipements publics mixtes et lieux de vie partagés, pour que tous les citoyens aient droit de cité, quels que soient les âges de la vie.