Hier lundi, conférence de presse chez le Médiateur de la République, rue Saint-Florentin. Jean-Paul Delevoye a remis son rapport le matin même au Président de la République. Dernier rapport du Médiateur : dans quelques semaines, il cédera la place au Défenseur des droits, nouvelle institution qui regroupera les services du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants, de la Commission nationale de déontologie de la sécurité et de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde).Commentant cet ultime rapport, Jean-Paul Delevoye, Médiateur depuis 2004, ne cache pas son inquiétude sur la société française, «une société en archipel, fragmentée où les clivages politiques ne sont même plus opérants».
À un an de l’élection présidentielle, Jean-Paul Delevoye délivre un message d’alerte : «En 1995 on avait le thème de la fracture sociale, en 2002 le thème de la sécurité, pour 2012 on est au carrefour : le vivre ensemble ou le chacun pour soi ? Le goût des autres ou le coût des autres ? Le racisme de l’assiette ? Les gens ne croient plus au destin collectif de la France mais ils croient en leur bonheur individuel et à leur épanouissement. Cela doit alerter les décideurs politiques et j’ai tenté de le faire dans mon rapport». Il faut écouter ce que le Médiateur nous dit sur la société française, ses peurs, ses désillusions, sa grande fatigue. Verbatim.
Le citoyen abandonné. «Plus de 700.000 contacts dans l’année et un sentiment d’isolement et d’impuissance. Les gens se sentent des pots de terre contre un pot de fer. Un sentiment nouveau est apparu cette année, sentiment d’injustice : « quand je fais partie de la classe moyenne, je paie tout et je n’ai droit à rien, on ne m’écoute pas et est-ce que les puissants ne bénéficient pas d’une sorte d’impunité ?Est-ce que les gens du système ne sont pas mieux protégés que les autres ? » Ce sentiment est en train de monter dans les dossiers que nous avons. Sentiment aussi d’incompréhension de la personne handicapée parce qu’elle a un euro d’intérêt sur son compte bancaire et se voit supprimer une aide. Sentiment aussi de colère, parce que l’informatique a bon dos quand un dossier est égaré ou qu’un paiement prend du retard. Nos concitoyens ne comprennent pas : dans le service public, le service au public, l’intendance doit suivre. Nous avons aussi alerté le Président de la République que le regard vis à vis de la loi a changé. Les gens nous disent : « il y a trop de lois à réaction ; est-ce que la loi sensée protéger le faible continue à le faire ? » 40 % des gens que nous avons interrogés se sentent abandonnés. Ils sont prêts à voter même pour quelqu’un qui ne respectent pas les valeurs parlementaires, au nom de l’efficacité.»
Redonner du sens à la citoyenneté. «Il y a aujourd’hui un vrai besoin de redonner du sens à l’action publique, de redonner du sens à la citoyenneté. Le recul de la citoyenneté pose des risques majeurs, parfois des risques générationnels quand des jeunes se demandent pourquoi payer la dette et la retraite des ancienset préfèrent se débrouillerchacun pour soi. On peut redonner le goût de la citoyenneté, tout simplement en revisitant les équations de la République. Un tiers des Français expriment un rejet des administrations, non pas parce qu’ils ne les aiment pas mais parce qu’ils n’y croient plus, c’est le chômeur qui ne croit plus au stage qu’on lui propose pour retrouver un emploi, c’est l’écolier qui ne croit pas à l’école pour lui offrir une chance dans la vie. Cela est directement lié à la panne de l’ascenseur social. Nous devons être attentifs pour qu’on passe de la gestion d’un dossier à la culture de l’écoute et de l’accompagnement de la personne pour l’aider à surmonter une difficulté. Il ne faut pas se réfugier derrière les nouvelles technologies déshumanisées « tapez un, tapez deux, tapez trois… ». La déshumanisation des rapports humains est catastrophique. La dimension comptable l’a trop emporté sur le sens. C’est bien de compter, d’évaluer mais il faut savoir quel est le sens de l’action, de la mission et du service public.Il faut aussi retrouver le sens de la responsabilité, ne pas se protéger derrière le prétexte du principe de précaution, du respect des procédures.»
Trop de lois à réaction. «Les textes de loi sont tellement empilés que les administrations elles mêmes ont du mal à les digérer. Les textes sont souvent remis en cause et cela crée des traumatismes comme avec la règle du jeu changeante sur la filière photovoltaïque. Quelquefois des lois ne sont pas appliquées, ou bien l’application est compliquée et dans les faits n’existe pas. « Comme parent d’handicapé, j’ai droit à un auxiliaire de vie mais dans les faits le poste n’existe pas ». Les gens ne comprennent pas cette espèce de confusion ou d’illusion de la loi. Ils nous disent qu’il faut arrêter ces lois à réaction, revenir à moins de lois mais des lois mieux appliquées.»
La fatigue des fonctionnaires. «Nous avons été très frappés par le besoin de sens exprimé par les fonctionnaires. Ils comprennent bien que leurs administrations doivent changer, mais s’il y a moins de moyens, il faudrait aussi peut-être moins de missions. La dictature du chiffre et du court terme devient insupportable. Il faut revisiter les objectifs et les missions du service public, être fier du métier qu’on fait. Aujourd’hui, la perte de sens, la non visibilité de la mission crée une souffrance aux fonctionnaires.»
La décentralisation incomprise. «La société est devenue mobile. On change de métier, on change de conjoint, on change de département et on s’aperçoit que selon les collectivités, les aides ne sont pas de même nature – c’est d’ailleurs le principe même de la décentralisation – mais cela peut créer des incompréhensions, voire des traumatismes, notamment quand il s’agit de mobilité pour les enfants handicapés dont les transports ne sont pas pris en charge de la même façon selon les conseils généraux.»
À l’issue de cette conférence de presse, je demande à Jean-Paul Delevoye comment le métier de Médiateur a changé en sept ans. Ce qui le frappe le plus aujourd’hui, c’est la circulation toujours plus rapide de l’information et l’apparition de nouvelles formes d’interventions. La plateforme Internet qu’il a créée «Le Médiateur et vous» est devenue en quelques mois un espace collaboratif très actif. Des communautés d’internautes se créent sur des thèmes particuliers pour faire des propositions et rechercher des solutions avec les pouvoirs publics. Pour dénoncer aussi. Par exemple, alors qu’un préfet répondait qu’il avait résolu un problème de file d’attente, les internautes ont envoyé immédiatement sur le site des photos qui démentaient son propos. Alors, il y a aussi des raisons d’espérer dans l’ultime message du Médiateur de la République. Pourquoi pas de nouvelles formes de démocratie participative dans la médiation, des modes collaboratifs innovants de citoyenneté ? Bienvenue au futur Défenseur des droits.