Pas de dynamique des territoires sans formation continue créative des fonctionnaires territoriaux. Hier à Montpellier, à l’occasion de la Conférence annuelle de ses conseils régionaux d’orientation, le CNFPT organisait un débat sur l’évolution de la formation des agents territoriaux. Le prétexte en était un double anniversaire, 1972-2012, 40 ans après la création du CFPC (Centre de formation des personnels communaux), organisation devancière du CNFPT, et de mise en œuvre des lois généralisant en France la formation professionnelle. Invité à témoigner, j’ai livré quelques constats sur ce qui s’est passé pendant ces quatre décennies et surtout, au vu du chemin parcouru, j’ai voulu partager des convictions qui me semblent porteuses de promesses pour les années à venir.
La formation a été indissociable de la dynamique territoriale qui a germé dans les années soixante-dix pour donner naissance à la décentralisation il y a exactement trente ans, avec la loi du 2 mars 1982. Que s’est-il passé en France dans les années Giscard ? On a pris conscience de l’épuisement d’un modèle de développement qui venait d’en haut dans une culture colbertiste descendante verticale et d’un aménagement du territoire tel que l’incarnait la Datar. L’élan volontariste et technocratique des années soixante ne suffisait plus. C’est le même Olivier Guichard, premier grand délégué à la Datar qui produit un rapport en 1976, « vivre ensemble » pour montrer que désormais le développement devait se faire à partir des territoires. Le rapport Guichard indique clairement que le recours hiérarchique à une autorité supérieure, le goût de la sécurité qui conduit à s’en remettre sans cesse à l’Etat à montré ses limites. Mais le travail de la Datar avait porté ses fruits avec ses métropoles d’équilibre, on en avait fini avec Paris et le désert français, on avait engagé la régionalisation, et fait naître des projets locaux et des hommes et des femmes pour les porter.
Ce goût du local qui a germé dans les années soixante-dix a transcendé tous les courants politiques : c’était autant le rapport Guichard que le « vivre et travailler au pays » qu’on entendait sur la Plateau du Larzac, ou que le message des nouveaux élus municipaux de 1977 qui s’appellaient Jacques Auxiette, Michel Rocard, Jean-Marc Ayrault, Edmond Hervé et reprenaient les leçons des GAM d’Hubert Dubedout.
Dans ce bouillonnement émancipateur qui aboutit aux lois de décentralisation de 1982, aux premiers transferts de compétences et à la création de la fonction publique territoriale, il y a l’émergence à la fois d’une nouvelle classe politique locale et d’une nouvelle génération de cadres communaux. Pour être à la hauteur de cette dynamique d’émancipation qui commence avec la fin de la tutelle et la mise en œuvre du contrôle à posteriori, il faut des professionnels aguerris! Au fil de la décentralisation, la formation continue a permis aux territoriaux de digérer l’avalanche normative de lois et règlements sans jamais rejimber. Qu’on se souvienne de la mise en œuvre de la réforme comptable M14 où des multiples dispositifs d’emplois sociaux à mettre en oeuvre depuis les TUC.
Cette dynamique territoriale s’est exprimée grâce à deux outils qui s’inscrivent dans les gènes de la gestion publique locale : en externe, le projet de territoire (ou projet de ville) pour fixer des objectifs clairs, s’engager vis à vis de la population et, en interne, le projet de service qui concrétise les axes de management et de progrès. Le Centre supérieur de management territorial de Fontainebleau a eu un rôle majeur dans la création de toutes les bases du management territorial. Dans cette première époque de la décentralisation, les cadres territoriaux n’ont aucune crainte, aucun conformisme, tout semble possible au développement et à la reconnaissance des territoires. On cite encore cette fonction publique territoriale qui ringardisait une fonction publique de l’Etat sclérosée. On a tous connu des sous-préfets qui restaient muets de jalousie, faute de levier d’action, face à un jeune secrétaire général (on ne disait pas encore directeur général des services) qui avait les moyens de construire des politiques publiques. C’était passionnant de voir aussi l’ascenseur social en mouvement. Dans les collectivités territoriales, la promotion sociale des agents était un objectif clairement affiché, la responsabilité sociale de l’employeur communal dans ses recrutements était revendiquée. Les progressions de carrière qu’elle permettait ont fonctionné à plein. J’ai en tête des profils de cadres territoriaux qui incarnent cette méritocratie territoriale, qui ont commencé comme commis pour devenir de grands managers. Cela a été possible grâce une ambition partagée avec les élus locaux. La qualité du couple élus-agents reste déterminante, les élus ont les collaborateurs qu’ils méritent (et réciproquement).
La formation pour les agents territoriaux a aussi servi de ciment pour constituer une culture commune et cela continue à bien fonctionner. Le Répertoire des métiers du CNFPT a identifié 232 métiers regroupés dans 35 familles professionnelles. Spécificité territoriale : souvent un cadre est seul de sa spécialité dans sa collectivité et la formation continue lui permet de construire un réseau professionnel et de progresser dans une expérience professionnelle partagée.
Quarante ans plus tard, l’enjeu reste toujours de permettre l’éclosion des talents au service de la dynamique territoriale. Mature, la fonction publique territoriale doit résister aux conformismes. Elle est aujourd’hui assez solide pour ne pas craindre de se remettre en question, de se laisser interpeller par les mutations sociales et technologiques. Comment favoriser l’innovation, ouvrir des espaces d’expérimentation, inventer une nouvelle ingénierie sociale ? Dans la nouvelle économie du savoir et de la connaissance, tout va très vite.
Les chemins de la formation prennent aussi des voies multiples aujourd’hui : le wiki territorial lancé il y a quelques semaines par le CNFPT augure bien d’une nouvelle formation partagée, facilement accessible et permanente. Elle n’est pas pour autant exclusive des autres formes de formation. De même, les ponts lancés vers l’Université et la recherche sont primordiaux. L’initiative des prix « Jeunes chercheurs & territoires » est emblématique. Les collectivités territoriales doivent devenir des organisations apprenantes à tous les étages. Et évitons d’opposer la formation des cadres A ou des agents de catégorie C. La formation, c’est comme le sport où on entretient de faux débats sur le sport de haut niveau et le sport de masse. Quand une ville est sportive, elle l’est du haut en bas, parce qu’elle développe une culture du sport ambitieuse. C’est le même esprit émancipateur qu’il faut développer pour la formation, composante essentielle du management.