Je reviens de Nantes où je participais au Vème Forum mondial des droits de l’homme, un rendez-vous désormais incontournable qui honore la cité de l’Edit de Nantes et de la traite négrière. Plus de 4.500 participants issus de plus de 100 pays différents. Il fallait entendre les représentants chinois, tunisiens ou maliens pour ne pas oublier que des droits de l’homme aussi indispensables que l’accès à l’eau, à la sécurité alimentaire, au logement, à l’énergie, à la santé ou à la formation trouvent leur pleine réalisation dans les politiques territoriales. Pour les participants issus de la vieille Europe, ces droits semblent aussi naturels que l’air que nous respirons. Nous résumons les droits humains trop souvent à leur violation en matière de droits politiques, d’accès à une justice équitable ou de respect des victimes des conflits armés. Lors de la séance d’ouverture que j’ai eu l’honneur d’animer, un des fondateurs du Forum, Pierre Sané, ancien secrétaire général d’Amnesty International qui fut aussi directeur général des sciences sociales et humaines de l’UNESCO, a eu raison de rappeler que la première violation des droits de l’homme concerne la pauvreté. Pas de droits humains sans lutte contre la pauvreté qui est une violation de la dignité humaine.
Je retiens de ce Forum les paroles fortes du chinois Zhou Hongling, directeur de l’Institut de l’éducation civil Xin Shidai de Pékin, qui loin de la langue de bois habituel, déclarait : « Pour l’industrialisation et l’urbanisation de la Chine, on a piétiné les droits humains, nous avons payé le prix du sang ». Construction de nouveaux quartiers à marchée forcée, expulsions et répression des habitants qui s’y opposent et le payent de leur vie. Avons-nous conscience de cette réalité, de l’importance du droit de l’urbanisme, du caractère prioritaire des droits des habitants, nous qui, en France, nous empoignons sur le transfert de la compétence urbanisme à l’échelle intercommunale ? En écrivant cela, il ne s’agit pas de relativiser nos débats hexagonaux mais de rappeler à mes amis, élus et responsables territoriaux, qu’ils exercent une mission centrale où se jouent le respect de droits humains, du droit de cité. En appliquant nos procédures, par delà nos gestes techniques, il ne faut jamais oublier la finalité de cette action publique. La confrontation et le partage d’expériences avec des représenants de territoires venus du monde entier est salutaire pour en être pleinement conscient. Le Coréen Kyung-seo Park, président du comité de pilotage du Forum mondial des villes pour les droits de l’homme de Gwangju, a rappelé avec sagesse qu’il faut construire aujourd’hui des villes en garantissant les mêmes droits pour tous les habitants, en faisant vivre le principe de justice sociale et en reconnaissant la diversité culturelle. Nécessité d’affirmer un meilleur partage des ressources, notamment pour éviter l’accaparement des terres agricoles comme cela se produit dans trop de pays d’Afrique ou d’Amérique latine. Prise en compte de nouveaux modes de délibération collective, de construction de politiques publiques avec les habitants, dans le respect des biens communs. Besoin d’outils de planification territoriale, et de pilotage du développement durable tels que les agendas 21 dont on mesure mieux l’importance dans la bouche d’un représentant d’un pays du sud qui vous parle d’accès à l’eau ou d’un droit de l’urbanisme qui reste trop souvent à mettre en place.
Chercheure au CNRS, Catherine Lebris a bien montré, en introduction au débat organisé par le Global Local Forum, que la décentralisation et la démocratie locale progressent partout dans le monde. La démocratie est un droit multi-niveaux : « la protection des droits universels contribue à renouveler la démocratie locale, tandis que la démocratie mondiale émergente trouve, elle-même, un appui dans les autorités locales ». Ainsi en Tunisie, la future constitution en préparation consacre l’émergence des pouvoirs des collectivités territoriales et énonce des principes de démocratie participative et de gouvernement ouvert, dynamique encore fragile quand les droits des femmes sont menacés. Ainsi au Mali, la solution post-conflit passera par une décentralisation renforcée. À l’échelle locale, on peut faire vivre l’exigence démocratique dans le respect de chacun, comme l’a affirmé avec courage Oumou Sall Seck, seule femme maire au nord du Mali, maire de Goundam où les terroristes ont détruit tous les installations communales et l’hôtel de ville pour affaiblir le pouvoir municipal, d’autant qu’il était détenu par une femme. En l’entendant raconter ses épreuves et prononcer ses paroles d’espoir, je me suis remémoré avec une acuité renouvelée la fameuse formule d’Alexis De Tocqueville : « c’est dans la commune que réside la force des peuples libres. »
Illustration : À l’initiative de Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International-section française, les participants du Vème Forum mondial des droits de l’homme ont marqué deux minutes de silence et brandit le message « STOP » contre les exactions de l’armée syrienne.