À trois semaines dés élections municipales, la vacuité du débat politique national est consternante. Les seuls commentaires qu’on nous sert dans les émissions politiques concernent les pronostics électoraux, désaveu annoncé pour le gouvernement dans ces élections intermédiaires, ou le scandale du jour sur le principal parti d’opposition. Sans vouloir donner de leçon à quiconque, je me remémore cette belle formule qui honorait la profession : “les journalistes sont les instituteurs de la démocratie“. Peut-on passer à côté des sujets essentiels qui concernent le fonctionnement de la démocratie locale, d’ici les élections des 23 et 30 mars prochains ?
J’animais hier soir à Sciences-Po un débat sur “la crise démocratique, peut-on reconstruire la confiance ? Comment ressourcer la citoyenneté, la solidarité, la gouvernance ?“ À partir des études de l’Observatoire national de l’action sociale (ODAS), son délégué général, Jean-Louis Sanchez, montre le délitement du lien social. Il vient de publier un essai stimulant “La promesse de l’autre – Une société désunie est une société désarmée” (éditions Les liens qui libèrent). Pour lui, il faut “passer d’une solidarité de droit à une solidarité d’implication“. Comment mobiliser les citoyens ? Il explique par exemple qu’on recense en France 250.000 enfants en danger pris en charge par les collectivités territoriales (essentiellement les départements) dont les problèmes sont majoritairement des « problèmes de liens plus que des problèmes de biens“. De même, aujourd’hui, les retraités ont plus envie d’aider que d’être aidés. Jean-Louis Sanchez appelle à une nouvelle définition de l’action sociale locale, ne pas se contenter de délivrer des prestations mais plutôt construire du développement social avec les habitants. Pour retisser ce lien social et faire des habitants, les acteurs de leur cité et pas seulement des consommateurs de service public local, près de 29 maires ont créé des journées citoyennes et ça marche. Mais personne n’en parle. “Si la liberté et l’égalité sont l’affaire de l’Etat, la fraternité est l’affaire du local“, nous dit Jean-Louis Sanchez.
“Réinventons la culture du bien public“, lui répond en écho Ghaleb Bencheikh, physicien et président de la Conférence mondiale des religions pour la paix. Prenons conscience qu’on ne vit pas actuellement une crise mais un changement profond dans notre humanité. Comment les responsables des villes, les élus communaux du 30 mars prochain, vont-ils anticiper et accompagner ces mutations ? Pour Ghaleb Bencheikh, la boussole qui doit nous guider, c’est la dignité de l’homme. Cet observateur attentif des évolutions culturelles, politiques ou religieuses, nous invite à “faire société“. Comment permettre aux citoyens de devenir co-producteurs d’un projet collectif ? C’est à l’échelle du territoire, du quartier que se trouve la réponse dans des applications concrètes de la vie quotidienne. Jean-Christophe Baudouin, directeur général de l’Assemblée des départements de France (ADF), constate le désarroi des responsables politiques locaux. Pour ce haut fonctionnaire territorial, on est dans un entre-deux qui contribue à l’impuissance de l’action publique : un Etat tutélaire qui s’accroche à tout ce qui est local, des hybridations souvent confuses entre la démocratie représentative et participative. “L’élan de la décentralisation a disparu, la décentralisation s’est technicisée“, constate Jean-Christophe Baudouin.
Les institutions avancent moins vite que les mœurs. À Sciences-Po, hier soir, des participants au débat montraient comment les citoyens se bricolent des réseaux de solidarité, comment des bénévoles interviennent dans les bibliothèques, nouveaux lieux de sociabilité, comment des usagers de services publics deviennent co-producteurs de politiques. Il faut faire connaître ces initiatives inclusives qui concernent tous les aspects de la vie locale, activités sociales, culturelles, environnementales… Bref, la vraie vie de la cité, la politique réelle qui va retisser le lien social, n’en déplaise aux déclinistes. Mais la forêt qui pousse fait moins de bruit que l’arbre qui tombe.