Alors que la polémique enfle sur le redécoupage cantonal, on ne peut que déplorer une occasion manquée qui aurait allégé le millefeuille territorial en s’appuyant sur la généralisation de l’intercommunalité. On aurait pu faire siéger en assemblée départementale des représentants des intercommunalités, territoires modernes d’action publique plutôt que de redessiner une carte des cantons et de créer une nouvelle superposition territoriale. Dans le dernier numéro de La Lettre du Secteur Public, Jean-Luc Bœuf, expert attentif de la tectonique des plaques territoriales, reprend cette proposition simple : Faisons du département, le conseil des communautés. Selon lui, “l’équilibre démographique serait pris en compte en faisant naturellement siéger plus de représentants des communautés d’agglomération ou communautés urbaines que de représentants des communautés de communes. Ensuite, cette réforme serait économe des deniers publics puisqu’elle ne couterait strictement rien. Elle alignerait de ce fait les mandats puisque, le même jour, seraient désignés pour six ans les conseillers municipaux, les conseillers communautaires et de facto les représentants au conseil général. Par ailleurs, cette réforme est parfaitement compatible avec la montée en puissance des métropoles. Enfin, le gain politique au sens noble du terme serait immense puisque les territoires ruraux n’auraient plus ce sentiment d’abandon, puisqu’englobés dans une vision d’ensemble“. Ajoutons qu’on aurait fait ainsi converger les politiques sociales des départements et du bloc communal, comme les politiques de voirie et de transports.
Est-il trop tard pour bien faire ? La réforme Valls de mai 2013 a été menée principalement pour abroger les dispositions la loi RCT (réforme des collectivités territoriales) de décembre 2010 qui avait institué le conseiller territorial, élu qui aurait pu siéger à la fois à la région et au département. Le projet était alors de rapprocher les deux strates, régionale et départementale, et de faire du département une simple circonscription de la région. L’abrogation de cette réforme était une promesse de campagne de François Hollande. La réforme Valls a donc rétabli les élus départementaux mais ils seront élus dans le cadre de super cantons par binôme, un homme et une femme par canton. Résultat : le nombre d’élus départementaux va augmenter dès les prochaines élections de 2015, de 3.971 à 4.136 conseillers, puisque le nombre de cantons passe de 3.971 à 2.068 (hors Paris).
La bataille des chefs-lieux de canton a fait rage dans le monde rural. En milieu urbain, le découpage des cantons a peu d’importance, mais dans les zones rurales il en va tout autrement. On risque d’avoir demain une nouvelle concurrence des périmètres entre les cantons, leurs élus, et les communautés de communes aujourd’hui généralisées. La Direction générale des collectivités locales (DGCL) du ministère de l’intérieur a récemment fait le point sur cette généralisation. Aujourd’hui, 2.145 groupements à fiscalité propre couvrent l’ensemble des départements de France : 1.903 communautés de communes regroupant 85% des communes et 44% de la population (en moyenne 16 communes et 14.000 habitants), l’autre moitié de la population est couverte par les 242 autres EPCI à fiscalité propre dont 222 communautés d’agglomération (en moyenne 22 communes et 122.000 habitants). On avait là une maille plus intéressante que les cantons pour commencer à rationnaliser la carte territoriale. Déjà en 2000, le rapport Mauroy évoquait la possibilité de « créer de nouvelles circonscriptions pour les élections départementales, sur la base de territoires rénovés tenant compte des intercommunalités ». L’ancien Premier ministre écrivait que “ce mode de scrutin serait ainsi en relation avec l’évolution intercommunale et permettrait d’obtenir des périmètres cohérents entre conseil départemental et intercommunalité. Ce redécoupage permettrait également de conserver un lien plus fort avec le territoire, et entre le conseiller départemental et l’électeur » (page 47 du Rapport publié à la Documentation française). Hélas, encore une fois, comme ces satellites à tout jamais perdus qui tangentent les planètes sans rentrer dans l’atmosphère, les projets de réforme territoriale les plus rationnels disparaissent dans l’espace infini des calculs électoraux.