Le cabinet Asterès, que dirige l’économiste Nicolas Bouzou, vient de faire une proposition iconoclaste dans sa dernière étude réalisée pour le compte de SNCF Transilien en préconisant de réformer le versement transport (VT) pour inciter à la flexibilisation des horaires et au télétravail. Il propose une sorte de bonus-malus avec un avantage pour les employeurs qui évitent à leurs salariés de remplir des trains déjà surchargés. Le réseau francilien supporte un trafic dense en croissance et arrive à saturation aux heures de pointe. “Le Syndicat des transports d’Ile-de-France, le STIF, ne peut pas faire varier les tarifs pour favoriser une meilleure répartition de la demande de transports dans le temps“, constate l’auteure de l’étude, Hélène Timoshkin. Comme tous les salariés ne pratiquent pas le télétravail le même jour, ce système de bonus-malus sur le VT aurait l’avantage de lisser dans le temps la fréquentation du réseau ferroviaire. Asterès recommande aussi le développement d’application smartphone pour permettre aux usagers qui peuvent choisir leurs horaires d’emprunter les trains les moins chargés. On sait que les temps de descente et de montée des passagers augmentent avec l’affluence et provoquent des retards sur les lignes les plus denses.
Cette proposition risque de ne pas être bien accueillie par les décideurs publics qui se plaignent régulièrement – et à juste titre – de la baisse des financements. Pourtant, elle oblige à sortir du cadre de pensée dominant qui veut qu’il faut toujours plus de moyens pour faire mieux. Peut-on faire mieux ou plus avec moins ? Oui, c’est possible. C’est ce que recommande le théoricien de l’économie « frugale », Navi Radjou. Dans son ouvrage, “l’innovation Jugaad“, il expliquait comment on peut être innovant sans dépenser toujours plus. Le secteur de l’industrie a retenu la leçon (le livre est d’ailleurs préfacé par le patron de Renault-Nissan, Carlos Gohsn qui a inventé Dacia, l’automobile low-cost). Dans un environnement concurrentiel de plus en plus complexe, les entreprises n’ont pas le choix, “elles doivent faire preuve de résilience pour tourner l’adversité à leur avantage“, selon Navi Radjou. Les décideurs publics ont-ils davantage le choix ? Avec l’argent public aussi, il n’est pas indispensable de dépenser plus pour faire mieux.
Dans le domaine des transports publics, l’innovation frugale a déjà fait ses preuves. Dans certains quartiers périphériques, le taxi à la demande coûte moins cher qu’une ligne de bus rigide et sous-utilisée. J’aime aussi citer une initiative exemplaire de la ville de Rennes. Il y a quelques années, les élus inquiets chaque matin de la saturation de leur ligne de métro envisageaient de créer une ligne de bus supplémentaire. Finalement, ils ont exploité les données publiques de fréquentation et ont demandé à l’université un décalage d’une heure pour le début des cours de la moitié des étudiants. Le problème de saturation était résolu, sans dépense nouvelle et avec une qualité de vie accrue pour les usagers.