La régionalisation vue d’ailleurs : les conditions de la réussite

« La solution à la crise malienne se trouvera grâce aux régions », déclare Bandiougou Diawarra, président du conseil régional de Kayes au Mali, alors que son pays est aujourd’hui coupé en deux et au bord de la guerre. « La meilleure réponse du Maroc aux printemps arabes a été la régionalisation avancée, décidée par Mohammed VI », estime Youssef Zaïdi, président de la commission relations internationales du conseil régional de Doukkala Abda au Maroc. Au moment où la vieille France prépare son acte III de la décentralisation et que certains commentateurs dénoncent un renforcement des pouvoirs régionaux, il faut sortir des frontières hexagonales pour mieux appréhender le fait régional et cerner les conditions nécessaires à une régionalisation réussie. Je viens d’animer pendant trois jours un séminaire international organisé à l’initiative de la région Nord-Pas-de-Calais et de sa vice-présidente, Majdouline Sbaï, auquel participaient des représentants de régions venus du Brésil, Sénégal, Mali, Maroc, Madagascar, Allemagne et Pologne. C’était l’occasion de réfléchir collectivement à l’approche territoriale du développement local, à l’implication des collectivités territoriales, et aussi de confronter les modèles juridiques, administratifs et politiques différents autour de ces questions d’aménagement et de développement du territoire.

Quels que soient les contextes politiques et économiques, depuis la région d’Analanjirofo qui vit durement la transition politique de Madagascar jusqu’au Land de Rhénanie-Nord-Westphalie où la culture politique fédérale est par essence décentralisée, les conditions d’une bonne régionalisation sont les mêmes. La région (ou l’Etat fédéré dans une nation fédérale) est l’échelon du développement et de l’aménagement. L’Etat central est trop lointain et il faut cet échelon intermédiaire pour faciliter le développement du territoire. Pour cela, les régions ont mis en place des outils, « une méthodologie de l’aménagement », selon les mots de Grzegorz Wolnik, président de la commission finances de la Diétine de Silésie (Pologne). Toutes ces régions sont au service du développement économique mais pour que cela fonctionne aujourd’hui, le développement doit être équitablement réparti entre les habitants et les territoires infrarégionaux. Principalement endogène, il inclut des composantes sociales, environnementales et culturelles. Les régions se veulent ensembliers pour permettre aux acteurs des territoires de mieux travailler ensemble. Founéké Sissoko, secrétaire général de la région de Kayes au Mali, utilise le mot d’ « emboîtement » pour évoquer cette nécessaire coordination entre les différents échelons territoriaux (communes, cercles –équivalents de nos départements- et régions).

Pour piloter le développement, les régions doivent aussi être crédibles vis-à-vis de leurs partenaires et faire la preuve de leur légitimité. Chyara Pereira, directrice des relations internationales de l’Etat du Minas Gerais au Brésil, raconte comment le Minas Gerais est parvenu à être aujourd’hui noté triple A par les agences de notation financière, à force de réformes permanentes. Les Brésiliens ont une formule pour résumer cela : « il faut changer le pneu avec le véhicule en marche. »  Cette crédibilité de l’échelon régional passe par la bonne gouvernance et la nécessité de rendre compte de ses actions. Pour y parvenir, il faut une ingénierie publique de bon niveau. En France, elle peut s’appuyer sur « le statut des fonctionnaires territoriaux fondé sur des valeurs de neutralité et de continuité », a utilement rappelé Yvon-Paul Lollivier, directeur de la délégation régionale du CNFPT à Lille. « Il faut donner la priorité à la formation des fonctionnaires et faire émerger un leadership local », souligne Aminata Ba Ndiaye, administratrice civile et gouverneur-adjoint de Saint-Louis au Sénégal. Cette armature administrative est indispensable, tout comme des ressources financières suffisantes et pérennes que les Etats centraux hésitent toujours à transférer alors que les régions demandent des moyens pour financer les programmes d’infrastructures ou de formation.

Autre composante indispensable à une régionalisation réussie : un fonctionnement démocratique avec une relation renouvelée aux habitants. L’aménagement et le développement économique sont par définition des politiques complexes et restent trop souvent opaques. Il faut expliquer, traduire en langues vernaculaires pour les maires ruraux comme au Mali, ou avec des mots simples pour des citoyens peu avertis des réalités administratives comme au Brésil où le Minas Gerais utilise pour cela You tube. Les régions françaises ont beaucoup à apprendre des autres régions pour mieux associer les populations à l’expertise d’usage des territoires et à la co-construction de politiques publiques. L’ouverture des données publiques en ligne (Rhénanie-Nord-Westphalie), la délégation de budgets participatifs, la création d’un poste de médiateur parmi les élus aux pouvoirs étendus (Minas Gerais) sont autant de pratiques démocratiques qui vont de pair avec la bonne gouvernance et le devoir de rendre compte avec probité du bon usage des deniers publics.

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