Complexité et fragilité de la fiscalité locale française

Le Conseil économique, social et environnemental(CESE) vient de voter et de publier dans l’indifférence générale un avis “Pour une réforme globale de la fiscalité locale“. Ses conclusions et préconisations ne sont guère originales, la méthode consensuelle du CESE étant généralement limitative, mais la lecture du rapport est très instructive car ce travail se différencie des autres études et rapports sur la fiscalité locale. Les rapporteurs du CESE, Jean-Karl Deschamps et Didier Gardinal (photo ci-dessus) ont procédé à une trentaine d’auditions et apportent un éclairage décalé sur notre système fiscal local, étayé notamment par des comparaisons internationales. Saluons aussi la présentation de ce travail sur le site du CESE très pédagogique avec une série d’interviews des experts et élus auditionnés.

Le CESE constate une organisation fiscale complexe, caractérisée par une multiplicité de taxes, des règles complexes d’affectation des impôts et taxes par niveau de collectivité, un système de dégrèvements et de compensations opaque, un système de péréquation peu lisible, comprenant 16 fonds de péréquation différents, des règles d’affectation complexes, manquant d’objectif clair en matière de réduction des inégalités et qui n’a pas fait l’objet depuis vingt ans, d’une véritable évaluation. « Le résultat de cette complexité est un système composite et opaque, peu lisible par les élus et les citoyens. Cette multiplicité des règles et des acteurs rend difficile la lecture du financement des collectivités locales et de la réalité de la pression fiscale exercée sur le contribuable », concluent les auteurs du rapport.

Les rapporteurs commencent en rappelant utilement qu’en 2016, les ressources globales des collectivités locales se sont élevées à 230 milliards, soit 11,3 % du PIB et 19 % des ressources de l’ensemble des administrations publiques. Les recettes proprement fiscales représentent un peu plus de la moitié de leurs ressources et les impôts locaux environ un tiers. D’autres recettes sont issues des tarifs et redevances ainsi que des recettes du domaine (14% des ressources). Pour leur part, les concours de l’État représentent le quart des ressources et les emprunts, 6%.  Entre 2012 et 2016, les ressources totales des collectivités locales ont progressé d’environ 0,5 % par an. La progression des impôts locaux et surtout des autres impôts et taxes, à un rythme supérieur à 3 % par an, a fait plus que compenser la baisse des concours financiers de l’État. Le poids des impôts locaux dans l’ensemble des recettes a ainsi augmenté progressivement sur les cinq dernières années, passant de 31,9 % en 2012 à 36 % en 2016.

Alain Trannoy, directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS), auditionné par le CESE, fait remarquer que 60 % des recettes des collectivités locales reposent sur l’immobilier et dépendent étroitement de la valeur de la « terre », ce qui fait dire que « le foncier est le juge de paix des collectivités territoriales ». Cette part prépondérante du foncier dans la fiscalité locale est une spécificité française, comparée à la plupart des autres états européens qui privilégient les impôts de flux assis sur les revenus des particuliers et des entreprises. Isabelle Chatry, cheffe de projet, réformes territoriales et finances locales à l’OCDE, rappelle qu’en Allemagne et en Espagne, près de la moitié des recettes fiscales locales vient de l’impôt sur le revenu, la proportion passant à 64 % en Suisse et à 85 % en Finlande, quand elles ne jouent aucun rôle dans la fiscalité locale en France. La France se distingue de ses partenaires européens par des recettes fiscales des collectivités locales assises pour plus de la moitié sur des impôts patrimoniaux (ou impôts de stock), alors que la plupart des autres pays privilégient surtout les impôts de flux, assis sur les revenus des particuliers et des entreprises. Les pays décentralisateurs se caractérisent aussi par l’importance des dépenses locales, qui constitue la contrepartie de leur relative autonomie, comme c’est le cas au Canada (19,4 % du PIB), en Suisse (13,4 %) ou en Allemagne (12,2 %). Pour autant, « un niveau conséquent de recettes fiscales locales n’est pas garant d’une plus grande autonomie fiscale. La part des recettes fiscales locales dans le total des recettes locales de la France (52 %) est ainsi relativement proche de celle observée en Suisse (54 %) ou en Allemagne (59 %). D’autres experts, Jean-Thomas Lesueur, délégué de l’Institut Thomas More, et Stanislas Boutmy, directeur Investissements publics d’ACOFI montrent qu’il est inutile de s’arc-bouter sur l’autonomie fiscale des collectivités qui est un débat en trompe-l’œil car ce qui importe avant tout, c’est l’autonomie financière.

Les rapporteurs du CESE constatent que là où l’impôt sur le revenu constitue la principale source de recettes fiscales locales, il est du fait de sa forte visibilité, mieux accepté par les citoyens qui ont intégré le fait qu’ils financent les collectivités locales. En même temps, leurs exigences en termes de disponibilité des services publics est plus importante vis-à-vis de l’exécutif local.

La complexité de notre fiscalité locale est accrue par la péréquation. « On compte au total 16 fonds de péréquation différents, avec chacun ses propres règles, de sorte de l’aveu même des représentants de l’administration fiscale, que seuls quelques experts s’y retrouvent », observent les rapporteurs. La multiplication des critères d’éligibilité et de répartition (potentiel fiscal, potentiel financier, effort fiscal, ressources par habitant.e, etc.) et les limites inhérentes à chacun d’entre eux, rendent difficile l’établissement d’un diagnostic sur le dispositif en place, qui pourtant manque cruellement. Ainsi, le potentiel fiscal, basé sur des bases cadastrales obsolètes s’agissant du foncier, ne reflète pas véritablement la capacité contributive des résidents. Selon le CESE, la réussite de la péréquation passe par son acceptation par toutes les parties prenantes, comme l’illustre le cas du Japon où les charges et les ressources des collectivités sont évaluées tous les ans et où il existe un véritable consensus sur les critères d’attribution. En France, on est loin de cette maturité. L’opacité et la complexité reste de mise.

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